Bienvenue dans l’ère du “crowd-based”

Un Français sur deux pratique déjà la consommation collaborative. En partenariat avec la MAIF, Society vous raconte ce nouveau monde plein de surprises…
Arun Sundararajan.

L’édifice se tient au 79, avenue de la République, dans le XIe arrondissement de Paris. C’est ici que se trouve l’ESCP Europe, une prestigieuse école de commerce qui accueille plus de 4 000 étudiants venus du monde entier. Mais les 28 et 29 janvier derniers, pourtant, quelque chose interpelle: en plus des étudiants, une foule de chercheurs et de consultants est venue grossir les effectifs. Cent cinquante personnes au total, présentes pour assister au second Workshop International, dédié à l’économie collaborative. De quoi former “une communauté de recherche”, permettant “d’avoir du poids face aux institutions”, explique David Massé, postdoctorant à l’ESCP et organisateur de l’événement.

Cinquante-six sessions d’une à deux heures sont organisées pour présenter les différentes études menées sur l’économie collaborative. Le but: analyser comment les innovations du collaboratif peuvent s’installer durablement et former un nouveau modèle économique mondial. Dans l’une des salles de cours, les universitaires, attentifs, prennent des notes. Les intitulés défilent: “Comment l’innovation peut-elle s’inscrire dans les business models existants?”, “La réputation digitale et la valeur du sentiment de confiance dans l’économie collaborative”. Parmi les cas étudiés, des noms reviennent souvent: les inévitables Uber, BlaBlaCar, Airbnb. Derrière un pupitre, Powerpoint à l’appui, Anita Bhappu, professeur émérite à l’université d’Arizona, prend justement l’exemple d’Airbnb. Elle a mené une étude sur 119 de ses usagers. Sa conclusion? “Les participants indiquent que même sans Airbnb, leur voyage aurait eu lieu. Ils auraient simplement choisi une auberge ou un hôtel. Il ne faut donc pas prendre le logement collaboratif comme une menace, mais comme l’opportunité de résoudre des problèmes liés au secteur hôtelier.” 

La clé, c’est la notion de confiance. Les gens peuvent interagir directement entre eux, ils s’appuient sur des photos, des descriptions
Arun Sundararajan

D’après Anita, le succès d’Airbnb prouve que les voyageurs privilégient deux caractéristiques lorsqu’ils recherchent un logement temporaire: un meilleur rapport qualité/prix et le confort d’un vrai foyer –considéré comme plus personnel. Ainsi donc, les hôtels devraient évoluer et baser leur modèle économique sur la qualité du service et de la relation client. Elle conclut: “Il faut embrasser le changement, construire de la résilience et de l’agilité stratégique.” Arun Sundararajan, lui, est professeur à l’université de New York. Il est l’un des deux keynote speakers invités par l’ESCP. Ces quatre dernières années, il s’est penché sur l’économie collaborative et la manière dont l’évolution des interactions sociales influe sur elle. L’agenda de l’universitaire est bien rempli: l’année dernière, il a donné 60 conférences dans le monde entier, du Forum économique mondial de Davos à Dubaï, devant un public constitué d’instances gouvernementales, d’académiciens, de commerciaux et d’ingénieurs.

Un nouvel ensemble d’idées

Son truc, c’est la transition vers un capitalisme crowd‑based. Il tient beaucoup au terme, qui désigne un modèle où convergent le personnel et le professionnel. “Il y a une erreur sur la définition d’économie collaborative, dit-il. Les gens pensent que c’est différent du capitalisme ou de la notion de marché. En fait, le modèle se situe entre le corporatif et l’individu.” Il reprend l’exemple d’Airbnb: “Ça ressemble à du peer-to-peer, à la différence que l’entreprise contrôle la qualité de la transaction. C’est ce que j’appelle du capitalisme crowd-based. On retrouve le même fonctionnement que le capitalisme, mais avec une hiérarchie différente. Il y a des entités d’activités économiques, mais les actifs proviennent du peuple.” Alors comment démocratiser ce nouveau modèle? “La clé, c’est la notion de confiance. Il y a 100 ans, les échanges s’effectuaient surtout entre des gens qui se connaissaient, car les réseaux étaient moins larges. Puis, les gouvernements ont introduit les notions de propriété et de contrat légal. C’est‑à-dire la possibilité de réaliser des transactions avec de parfaits inconnus. Aujourd’hui, les gens peuvent interagir directement entre eux, ils s’appuient sur des photos, des descriptions. Les outils digitaux peuvent très rapidement créer du lien avec des inconnus. Les entreprises doivent jouer là-dessus et baser la relation commerciale sur le communautaire pour favoriser la consommation. Dans l’hôtellerie, le personnel peut être sympathique, mais ce n’est que du business. Alors qu’avec Airbnb, on peut potentiellement devenir amis.” Reste que l’économie collaborative suscite aussi des interrogations chez les économistes: le modèle ne donnera-t-il pas tout simplement naissance à de nouveaux géants qui imposeront à leur tour leurs propres règles du marché? Et avant cela, le collaboratif a-t-il seulement un avenir? Arun en est convaincu: “C’est un nouvel ensemble d’idées qui n’est mené que par une minorité pour l’instant. Mais aujourd’hui, il y a dix fois plus de chercheurs dans ce domaine qu’il y a deux ans. Avant, je n’aurais pas pu trouver dix thèses sur l’économie collaborative, et désormais, il y en a une soixantaine par an. De toute évidence, le changement est en train de s’opérer.”

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Par Amelia Dollah