COP21

COP21 Jump Street

Alors que Paris a donné le coup d’envoi de la COP21 –la Conférence internationale sur le climat– ce lundi 30 novembre, de nombreux manifestants avaient appelé à se réunir dimanche place de la République, bravant ainsi l’interdiction de manifester résultant de l’état d’urgence. Environ 10 000 personnes (selon les organisateurs, 4500 selon la police) se sont ainsi déplacées pour faire entendre leurs revendications, entre ambiance de fête et atmosphère irrespirable.
Dimanche 29 novembre. Des manifestants font un sit-in devant des CRS, près de la place de la République.

Une jolie vague commence à s’étirer sur le boulevard Voltaire, dans le XIe arrondissement de Paris. Sous ces pancartes bleues, des manifestants, les bras en l’air. Souriants. Dispersés dans la foule, des bâtons surmontés d’un nuage blanc surplombent cette mer artificielle. Cinq anges en robe blanche et grandes ailes dans le dos –les “Climate Guardians”– déambulent sous les objectifs des nombreux journalistes qui couvrent l’évènement. Ce dimanche 29 novembre un peu gris, veille de COP21, l’ambiance risque pourtant d’être un peu “tendue”. État d’urgence oblige, les manifestations sont interdites. Prévue depuis longtemps, la grande marche pour le climat, ne fait pas exception. Néanmoins, nombreux sont ceux qui ont appelé à ignorer cette interdiction.

Des CRS, non casqués, tentent poliment de dire aux gens qui commencent à former une chaîne humaine de rester sur les trottoirs. Elle s’étire le long des devantures des magasins fermés, jusqu’à l’église Saint-Ambroise et même un peu au-delà. Devant le Bataclan, c’est la cohue. Un cortège officiel arrive. C’est Michelle Bachelet, la présidente du Chili, qui descend d’une voiture pour venir rendre hommage aux victimes des attentats.

Ambiance carnaval et “Vélorution”

Sur le trottoir d’en face, on se donne la main, on chante, on rigole. Il y a une ambiance de carnaval revendicatif en couleurs, et beaucoup de cartons griffonnés de slogans revendicatifs : “COP21 : We need action, not promises” ; “Changeons le système, pas le climat” ; “Contre les pollueurs et les États qui les soutiennent, justice climatique !” Une vingtaine de cyclistes de la “Vélorution” remontent le boulevard sous les applaudissements.

Quelques militants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ont fait le déplacement, masqués de têtes de salamandre verte et jaune en carton. La contestation du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est d’ailleurs omniprésente sur l’ensemble de la manifestation, en très bonne place derrière les autocollants et les pancartes jaunes “Stop au Nucléaire”.  “On est venus parce que les plus gros pollueurs de la planète sont réunis en ce moment au Bourget, et nous font croire qu’ils vont nous sauver alors que leur système est à l’origine de la catastrophe”, explique Camille. Il embraye : “Nous, on a déjà démontré qu’on pouvait vivre sans eux. Et on vient se joindre à tous les potes des luttes internationales pour créer du réseau.” Quant à l’interdiction de manifester, selon lui, cela n’a rien à voir avec les attentats. “C’est parce qu’on les dérange. On est la contestation de leur système, de leur politique.”

Lacrymos et matraques contre bouteilles et pots de fleur

C’est le début de l’après-midi et les trottoirs se vident. Alors qu’un hélicoptère de la sécurité civile survole la zone, la foule reflue vers la place de la République : “Bah oui, maintenant il y a la manif’”, explique une militante. En fait, la “manif”, c’est un rassemblement sur la place. Des milliers de personnes s’y massent sur la chaussée et le grand terre-plein central. Les forces de l’ordre bouclent toutes les artères. On peut entrer mais pas sortir, sauf un par un, par un passage formé d’une haie de policiers sur les marches qui surplombent l’entrée du boulevard du Temple. Sur la place, l’ambiance est un peu différente. Certains ont des fourmis dans les jambes. Un cortège s’improvise, avec en tête, des militants anarchistes derrière une banderole “Urgence écologique, sortir du capitalisme”. On scande “Le capitalisme détruit la planète, détruisons le capitalisme”, ou encore “état d’urgence, état policier, on nous enlèvera pas le droit de manifester”. Le défilé fait le tour de la place, passe devant les barrages de CRS qui, cette fois, ont sorti les casques et les boucliers, et s’engouffre sur une centaine de mètres dans l’avenue de la République avant d’être bloqué.

Les esprits s’échauffent. Quelques-uns, le foulard remonté jusqu’aux yeux, commencent à tirer sur les barrières tandis que des bouteilles volent. En face, la réaction est immédiate. En quelques secondes, les jets de bombes lacrymogènes blanches rendent l’atmosphère irrespirable. Les gens refluent, les restaurants verrouillent leurs portes en catastrophe. Sous un porche, une jeune photographe s’agenouille pour reprendre son souffle. Sur les trottoirs, on s’humecte les yeux à l’aide de petites pipettes de sérum physiologique en plastique.

Des clowns.
Des clowns.

Ces scènes de chaos se limitent à un périmètre extrêmement restreint. Sur la place, la fête continue. Il y a foule devant les échoppes qui vendent des crêpes et des paninis, des gens font leurs courses tranquillement. Le cortège improvisé, lui, a repris son tour de la place. Avant de s’arrêter à l’entrée de la rue du Temple. En quelques minutes, les CRS essuient une pluie de bouteilles, mais également de bougies et de pots de fleurs arrachés sur le piédestal de la statue où une foule vient quotidiennement se réunir pour rendre hommage aux victimes des attentats. Des manifestants pacifiques protestent, leur hurlent d’“arrêter ça !” Certains forment une chaîne humaine autour de la statue pour éviter le saccage. En face, les forces de l’ordre répliquent par des tirs de lacrymos et de grenades de désencerclement qui provoquent d’énormes détonations. La place est noyée dans un épais brouillard. Les stations de métro ferment. Dans le ciel, on voit maintenant un hélicoptère de la gendarmerie. Après un premier recul, les plus excités, vêtus de noir et le visage masqué, chargent littéralement les forces de l’ordre. La pluie de bouteilles reprend. On voit même passer une paire de chaussures, l’une de celles que les organisateurs avaient appelé à déposer sur la place pour symboliser la marche interdite. Nouvelle réplique des forces de l’ordre. Les détonations résonnent sur les murs. En face, la vague recule quelques minutes pour revenir à l’attaque. Sur les côtés, les gens sont au spectacle, s’écartent en toussant, les yeux rougis, avant de s’approcher à nouveau. À côté d’une bouche de métro, deux jeunes filles protestent, scandalisées : “Alors un jour on dit merci à la police, et le lendemain on leur jette des trucs ? Allez, on se casse !” Un couple de clowns à nez rouges tente de faire cesser ce jeu de guérilla urbaine en longeant la haie de boucliers, les bras tendus sur le côté comme des équilibristes, sous une pluie de projectiles qui s’écrasent sur les casques.

Fin de partie

Après une demi-heure d’échauffourées, les forces de l’ordre décident de tout interrompre. En quelques instants, des centaines de policiers casqués, protégés par des boucliers, progressent de toutes les rues vers le centre de la place, suivis par leurs camions qui viennent se garer au pied de la statue. Du côté des manifestants, ça court un peu dans tous les sens. Certains CRS passent sur le piédestal et piétinent fleurs et bougies avant des redescendre de l’autre côté.

Ce n’est pas encore le début de soirée que la manif’ est déjà terminée. Il y a ceux qui sont partis et ceux qui ont décidé de rester, éclatés en petits groupes tout autour de la place, désormais remplie de policiers. Dans un coin, alors que les CRS avancent, certains manifestants tentent un sit-in pour les bloquer et reçoivent immédiatement une volée de coups de matraque.

On est venus parce que les plus gros pollueurs de la planète sont réunis en ce moment au Bourget, et nous font croire qu’ils vont nous sauver alors que leur système est à l’origine de la catastrophe
Camille, militant écologiste

À côté du bâtiment de la garde républicaine, les forces de l’ordre ont formé une nasse à l’intérieur de laquelle se trouvent plusieurs dizaines de personnes interpellées. Le bilan officiel tombera plus tard dans la nuit : 341 personnes arrêtées, dont 317 placées en garde à vue. À proximité, on crie “libérez nos camarades!”. Plus aucun projectile ne vole. Au milieu du dispositif policier, deux militants ont trouvé refuge dans un arbre, en haut duquel ils ont accroché un drapeau arc-en-ciel frappé du mot “Paix”. Un gros pétard qui éclate soudain aux pieds des CRS sonne la dispersion des militants qui restent à l’extérieur de la nasse. Tout le monde est repoussé vigoureusement jusqu’au boulevard Saint-Martin. Sur un coin de trottoir, une fille brune en jeans est plongée dans la lecture de Surveiller et punir de Michel Foucault. À sa gauche, un barrage de CRS. À sa droite, une conversation qui s’envenime entre une jeune qui appelle les gens à “dire bonjour” à tout le monde dans le métro pour “changer les rapports humains” et une personne âgée qui la traite de “branquignole”.

Le calme revient sur la place. Autour de la statue, on rallume les bougies. Les derniers manifestants sont partis. Des dizaines de gyrophares bleus illuminent la nuit. Dans quelques heures, la COP21 aura jusqu’au 11 décembre pour donner une réponse à toutes ces pancartes.

Par Jean-Marie Godard / Photos : AFP