POILUS

Et ma barbe, tu l’aimes ma barbe ?

Beardilizer, une marque de produits d’entretien pour la toison masculine, a lancé cette année le premier championnat de France de la barbe. Immersion au poil !

25 centimètres. C’est la taille de celle de “Ludo”, en partant du menton. “Ludo” – Ludovic Dupont pour les moins intimes– porte la barbe depuis ses 18 ans, il y a 20 ans. Ce Normand d’origine, qui en impose par sa taille, mais aussi son calme et son look – casquette plate vissée sur la tête, chemise noire, bretelles rouges et Doc Martens aux couleurs de la Grande-Bretagne – a “toujours trouvé que la barbe dessinait un visage, et [il] fai[t] évoluer [s]on style en fonction de la [s]ienne. Le phénomène de mode [lui] a permis de la porter plus longue. [S]a femme n’était pas vraiment pour. En plus, dans [s]on métier, le poil, on l’enlève pour l’aérodynamisme.”  “Ludo” est nageur.

La compétition pour laquelle il est là aujourd’hui demande un entraînement bien loin de la brasse et du crawl, mais c’est “un entretien au quotidien”. Pour atteindre son but, il lui a fallu deux ans de patience. Vingt minutes chaque matin à s’occuper de son impériale, avec un rituel bien précis. “C’est un peu comme une femme avec ses cheveux, compare-t-il.  Je sors du lit et je pars sous la douche. Je la shampouine, avec un produit spécial. Ensuite, je l’essore, je mets un sérum démêlant,  je la sèche, je l’enduis d’huile, je la coiffe avec un peigne en bois, pour éviter qu’elle ne rebique. Enfin, je la mets en forme suivant mon envie. Mais ce matin, exceptionnellement, pour la compétition, j’étais chez mon barbier, pour un brushing.” Car aujourd’hui, Ludovic participe au championnat du monde de barbe.

Ah oui, quand même.

C’est pas (forcément) la taille qui compte

Ludovic connaît la plupart de ses concurrents : “On fait partie d’un groupe sur Facebook, où l’on se donne nos astuces pour s’occuper des poils rebelles.” Rockeurs, dandys, camionneurs, hispters… Tous les styles liés, de près ou de loin, à l’univers de la barbe trouvent ici leurs représentants. Ils sont une trentaine à

La barbe est un accessoire de mode, comme une paire de lunettes, elle doit être en osmose avec le visage
Sélim Niederhoffer, écrivain et expert de la barbe

s’être retrouvés en plein cœur de Paris, au Lieu Privé, un espace dédié aux soirées d’entreprise, expositions et autres jeux en tournoi. Dans quelques heures, ces poilus vont confronter leurs attributs virils dans un espace aux allures de bar lounge. Dans une salle, un bain à remous éclairé à la bougie (qui ne sera pas utilisé de la soirée) et dans une autre, un photocall à l’effigie d’une marque de produits qui augmenteraient la pilosité faciale. Ça sent la testostérone à la lavande, cette histoire. Plusieurs catégories sont à l’honneur ce soir : Freestyle, Garibaldi (barbe rectangulaire et fournie), Verdi (moustache cirée et séparée du reste de la toison) et, la plus impressionnante, la barbe supérieure à 20 centimètres.
Le favori de la catégorie “barbe longue” s’appelle Julien Voeltzel. Son pire ennemi : le rasoir, qu’il a utilisé pour la dernière fois en février 2015. Sa motivation : “la flemme.  J’ai toujours eu une barbe d’un mois”. L’entretien ne lui prend d’ailleurs que dix minutes par jour, son poil est raide et souple, sa barbe se rapproche d’une crinière et l’ensemble a l’apparence d’une chevelure. “Des barbes raides comme celle-là, c’est assez rare.” Le regard perçant, le crâne rasé, Julien caresse ses poils de visage de 27 centimètres avec le calme de Maître Po. “Je pense que j’ai encore du chemin jusqu’à Jeff Langum, le champion du monde”, regrette-t-il un peu, en pointant du doigt la photo en noir et blanc d’un homme à la barbe immense, solaire. Qui ressemble à un cyprès inversé.

Un défilé comme un autre

Après quelques cidres bruts –ou cocktails au whisky pour les plus–,  la compétition démarre à la manière d’un défilé de Miss sur fond d’electro assourdissante. Malgré l’air détendu des candidats, dans cette ambiance d’afterwork, la tension est palpable. Ils montent sur l’estrade, chacun leur tour, catégorie après catégorie. Le premier barbu s’avance de quelques pas, se présente d’abord au public et prend la pose.  Demi-tour sur la gauche, il se retrouve face au jury, met un coup de peigne en bois sous son menton, ce qui permet de présenter la densité de sa toison et la vitalité du poil. Le jury d’experts, composé entre autres de Magali Bertin, chef de rubrique “Beauté digital” chez GQ, et Sélim Niederhoffer, écrivain et expert de la barbe, prend quelques notes et observe scrupuleusement qu’aucun poil ne dépasse de la forêt brune ou grise qui se dessine sur le bas de chaque mâchoire. Qualité indéniable d’un gagnant ? La barbe doit compléter le style du candidat. “C’est un accessoire de mode, comme une paire de lunettes, elle doit être en osmose avec le visage”, explique Sélim Niederhoffer.

Au bout d’une heure de va-et-vient, le verdict tombe. Julien est sacré champion dans sa catégorie et Ludovic second (de manière non officielle). En guise de trophée, les gagnants reçoivent un diplôme nominatif, une paire de lunettes de soleil, une entrée pour le “cabaret aphrodisiaque” Secret Square, des accessoires de mode tels des chaussettes, un coffret de produits d’entretien pour la barbe et quelques bouteilles d’alcool. C’est donc les bras bardés de cadeaux que Julien teinte sa victoire d’amertume : il ne représentera pas la France dans les compétitions internationales. Le coup de cœur du jury, élu “Best in Show” pour la qualité de sa barbe, sa coupe et son style, c’est le Lensois Denis-Pierre Cariou. Pourtant, personne n’aurait misé sur ses dix centimètres de toison poivre et sel de diablotin et son sourire angélique. À part sa femme peut-être : “Ma victoire, c’est à ma moitié que je la dois, elle me brosse la barbe chaque matin.”

Par Florent Reyne / Photos : Florent Reyne & KFStudio157


Ils s'appellent Amélie Borgne, Marie-Sarah Bouleau, Julie Cateau, Théo du Couedic, Jéromine Doux, Colin Henry, Jeanne Massé, Charlotte Mispoulet, Maxime Recoquillé, Florent Reyne, Martin Vienne et Lucile Vivat, ils sont étudiants en contrat de professionnalisation au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) et, pendant quinze jours de juin 2017, ils ont travaillé sur un journal d'application en partenariat avec Society.
Ont éclos 24 articles sur le thème – bien moins futile qu'il n'y paraît – de l'apparence, qui seront publiés sur society-magazine.fr. Celui-ci en fait partie.