ÉLECTIONS LÉGISLATIVES EN ESPAGNE

Héloïse Nez : “On assiste à un changement en profondeur du système politique espagnol”

Les élections législatives du 20 décembre devraient confirmer la mutation politique de l’Espagne. Pour la première fois, le pays pourrait mettre fin au bipartisme et voir entrer des représentants de Ciudadanos et Podemos à l’Assemblée. Explications de la sociologue Héloïse Nez, auteur de Podemos, de l’indignation aux élections.
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Comment se fait-il que le bipartisme soit traditionnellement ancré dans la société espagnole ?

Depuis la fin de la transition démocratique, après le franquisme, les deux partis majoritaires –le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) et le PP (Parti populaire, à droite)– dirigent en alternance. Cela provient de la manière dont s’est créée la scène politique espagnole, mais c’est aussi lié au système électoral proportionnel, très contesté par les deux nouveaux partis Podemos et Ciudadanos. Les petites circonscriptions et la mauvaise répartition des sièges font que les petits partis ont toujours eu un nombre d’élus inférieur.

Après l’explosion des nouveaux partis, les sondages annoncent finalement que Ciudadanos et Podemos se placeraient en troisième et quatrième position.

Il faut se méfier des sondages. Podemos a déjà créé la surprise lors des élections européennes. Les sondages donnaient, au mieux, un siège d’eurodéputé à Podemos. Ils en ont eu cinq. Jusqu’en janvier 2015, ils étaient en forte expansion, annoncés comme étant le premier ou le deuxième parti espagnol. Puis, ils ont connu une phase de déclin jusqu’au début de la campagne électorale de novembre. Lundi dernier, de nouveaux sondages ont montré qu’il y aurait une remontée de Podemos. Malgré tout, on s’attend à ce que le Parti populaire obtienne la première place, sans majorité absolue. Mais pour les autres partis, rien ne semble encore défini. Il y aurait encore 20% d’indécis.

Comment peut-on expliquer le déclin de Podemos en début d’année ?

Ils étaient, à ce moment-là, au plus haut dans les sondages. Pourtant, Podemos est, depuis janvier, la cible d’attaques médiatiques très mauvaises pour l’image d’un nouveau parti. Conjointement, il y a eu un essoufflement en interne. C’est un parti très jeune qui a dû se constituer en même temps qu’il s’est inscrit aux élections. Dans le processus d’institutionnalisation du parti, ils ont choisi un modèle très vertical, centralisé et qui retire du pouvoir aux militants des cercles. Ils ont été stoppés par l’arrivée de Ciudadanos, qui s’est lui aussi affirmé comme un parti du changement. Podemos n’est alors plus le seul sur ce créneau. Même si la ligne économique est différente –Ciudadanos n’est pas un parti anti-austérité–, il suit son cousin dans cette envie de rajeunir la politique espagnole et de lutter contre la corruption. Dernier point capital : Podemos, étroitement lié à Syriza –volonté de rester dans la zone euro et de jouer sur des rapports de force pour imposer un changement d’orientation économique, de redistribution sociale, d’investissement dans les services publics et de réformes fiscales–, paye cette alliance aujourd’hui, puisqu’Alexis Tsipras n’a pas réussi à montrer l’exemple. Ce que les dirigeants répondent, c’est que s’ils arrivaient au pouvoir, ils seraient plus fort que la Grèce. L’Espagne représente en effet 10% du PIB européen contre seulement 2% pour la Grèce. L’intransigeance de l’Allemagne et des dirigeants européens face à la Grèce, c’est un message fort envoyé aux Espagnols.

Ne reproche-t-on pas la difficulté que Podemos a à transformer le discours de dénonciation en propositions concrètes ?

En effet, par exemple, sur la question territoriale et plus précisément lors des élections régionales en Catalogne, ils n’ont pas eu de position très claire. Alors que Ciudadanos est dès le départ un parti anti-indépendantiste avec une ligne transparente. Le parti de Pablo Iglesias est favorable à un référendum afin que les Catalans décident de leur sort, même s’ils ont annoncé faire campagne pour le non. Podemos souhaite proposer un nouveau modèle politique qui pourrait pousser les Catalans à vouloir rester en Espagne. C’est un discours ouvert mais qui, en pleines élections régionales, peut être très contesté. Les sondages annoncent pourtant que Podemos est le parti qui recueille le plus de voix en Catalogne pour ces élections législatives, donc tout dépend de l’enjeu du scrutin.

Pablo Iglesias a annoncé qu’il refuserait de s’allier avec le PSOE. Qu’en est-il à la veille du scrutin ?

Il y a eu plusieurs déclarations. Effectivement, en août, Inigo Errejon, le numéro deux du parti, a fait une déclaration dans laquelle il évoquait la possibilité de faire une coalition avec le Parti socialiste, mais Pablo Iglesias a tout de suite rectifié. Après, il y a eu de nouvelles déclarations, disant que si Podemos arrivait devant le PSOE, ils pourraient se mettre d’accord sur des questions sociales et avec Ciudadanos sur une refonte de la politique.

Une coalition avec Ciudadanos est-elle envisageable ?

Ça sera très compliqué. Il y a des points communs évidents mais les directions économiques sont diamétralement opposées. Ciudadanos souhaite baisser les impôts alors que Podemos voudrait les ajuster en fonction des revenus. Si les deux partis refusent le clivage gauche-droite, ils semblent trop opposés aujourd’hui. Pour revenir à la question territoriale, Ciudadanos refuse de faire un référendum pour les indépendances. De plus, les dirigeants de Ciudadanos ont annoncé qu’ils ne pourront pas soutenir le gouvernement de Podemos.

L’explosion de Ciudadanos ne sonne-t-il pas la fin de l’expansion des nouveaux partis ? Si aucun parti ne règne sur la ‘nouveauté’, personne ne peut jouir d’une majorité absolue ?

Peu importe l’issue, les partis vont devoir composer avec d’autres forces et cela peut affaiblir la dynamique du changement. S’il n’y avait qu’un seul parti du changement, les forces auraient surement moins été divisées. Après, les deux partis n’ont pas exactement le même électorat.

Peut-on affirmer qu’il s’agit véritablement de la fin du bipartisme espagnol ?

Ce qui est intéressant à retenir, quels que soient les résultats, c’est qu’aucun parti n’aura la majorité absolue. Il y a quatre partis qui ont une place et on verra jusqu’à quel point le bipartisme est révolu. Si le PP et le PSOE arrivent en première et deuxième position, ça sera une victoire en demi-teinte. Mais le fait qu’il y ait deux partis capables de talonner les deux camps traditionnels, c’est un changement en profondeur du système politique espagnol.

Par Romane Ganneval / Photo : AFP