CINÉMA

Kurt Russell : “Se battre avec une batte de baseball? Ça, c’est américain!”

Après Boulevard de la mort, Kurt Russell repart pour un tour de Tarantino: il est le chasseur de primes John Ruth dans le nouveau film du cinéaste, Les Huit Salopards. Un western auquel l’acteur voit un sous-texte politique évident.
Tim Roth, Kurt Russell et Jennifer Jason Leigh. Photo: Andrew Cooper, SMPSP © 2015 The Weinstein Company. All Rights Reserved.

Comment Quentin Tarantino vous a-t-il présenté le film?

Un jour, j’étais chez moi, en train de regarder la télé et je reçois un coup de fil. C’était Quentin: ‘Hey mec, tu pourrais lire un scénario que j’ai écrit? – Bien sûr, qu’est-ce que tu attends de moi? Que je joue deux ou trois scènes?’ Il dit: ‘Ouais, un truc du genre.’ Quelques semaines plus tard, Quentin veut qu’on ‘répète’ ce script. Et encore une fois le vendredi suivant. Je me dis: ‘Qu’est-ce que c’est que cette histoire?’ Et là, on me dit qu’on va jouer le texte dans un théâtre de 1 600 places, pour une organisation caritative. Personne ne m’avait rien dit!

Qu’est-ce que ce film dit de l’Amérique actuelle? On reconnaît des archétypes de Démocrates, de Républicains, et de gens qui ne sont ni l’un ni l’autre…

Le film montre où en est le pays cinq ans après la fin de la guerre de Sécession. Une période pleine de ressentiments et de frustrations. Des hommes qui avaient leur modèle de vie, les Sudistes, ont fini par l’abandonner. De l’autre côté, les Nordistes disaient: ‘Maintenant, ça va se passer comme ça.’ Puis, il y avait les types de l’Ouest, des gars plutôt neutres, qui devaient décider de quel côté ils étaient. Selon moi, c’est ce que représente John Ruth dans le film. Il observe les situations en fonction du bénéfice qu’il peut en tirer. Peut-être que devant ce film, on peut se dire: ‘Marrant que ça fasse penser à ce qui se passe aujourd’hui, pas vrai?’

C’est la règle du jeu de l’Amérique: quel que soit le mal que vous avez fait, vous aurez votre journée au tribunal
KR

Mais, à vrai dire, l’Amérique sera toujours comme ça. Des gens du monde entier viennent vivre ici, quelles qu’y soient les règles du jeu. Ils viennent avec leur propre bagage, et une fois ici, qu’on soit Russe, Irlandais ou Nigérian, on bosse tous ensemble. Même s’il y a à 1 000 choses qui peuvent poser problème, 1 000 questions qui vont être débattues. Aujourd’hui, les gens continuent d’arriver, et les débats de se poser. Le film est à propos de tout ça.

Tarantino dit pourtant souvent qu’il ne fait pas de films politiques…

Là, c’est indéniable, il met les pieds dedans. Mais, ça n’a rien à avoir avec deux mecs autour d’une table qui discutent de géopolitique. Il le fait en montrant des mecs de l’époque en prise avec des problèmes concrets. Et je crois que c’est bien plus efficace. On s’identifie plus facilement à quelqu’un qui a un problème immédiat à résoudre. Comme par exemple une criminelle que vous avez ligotée, histoire de la ramener devant un tribunal plutôt que de la descendre (la situation de son personnage dans le film de Tarantino, ndlr). Ça, d’une certaine manière, c’est être politique. Parce que c’est la règle du jeu de l’Amérique: qui que vous soyez et quel que soit le mal que vous avez fait, vous aurez votre journée au tribunal. John Ruth veut s’assurer de ça. Et ensuite, il vous regardera vous faire pendre. C’est son petit plaisir.

Vous avez récemment dit que le personnage de Snake Plissken dans Escape from New York de John Carpenter était le plus iconique que vous ayez joué. C’est un personnage froid, cynique et qui aime les armes. Vous avez aussi dit que ce personnage était ‘très américain’. Mais encore?

Ce qu’il y avait d’intéressant chez ce personnage, c’est qu’il avait un passé. C’était expliqué par un flic qui disait: ‘Voilà qui vous étiez et ce que vous avez fait. Et ensuite, vous avez mal tourné.’ Mais, aucune information ne venait expliquer pourquoi il avait mal tourné. Tout au long du film, Snake n’a aucune valeur rédemptrice à laquelle le spectateur peut se raccrocher. Pourtant, ce dernier prend systématiquement partie pour lui. C’est ce qu’il y a de génial dans ce personnage: tout le monde voudrait être avec Snake, mais lui s’en contrefout. Il ne vous aime pas, il ne m’aime pas, il fait ce qu’il a à faire et ne s’attache à rien. C’est un artiste de la fuite. Et aussi: avec quoi se bat-il dans le film? Un batte de baseball! Ça aussi, c’est américain. Vous savez que moi-même, j’ai été joueur de base-ball professionnel. Je suis capable de frapper une balle enroulée qui file à 160 km/h. Alors, si vous croyez que c’est dur pour moi de viser la tête… Mets une putain de batte entre mes mains et tu verras. Je peux prendre n’importe qui avec une batte de baseball.

Par Brieux Férot et Arthur Cerf