RÉUNION

Les insoumis

Alors que l'opposition à la loi travail bat son plein, un sondage BVA vient d'être publié, montrant que Jean-Luc Mélenchon égalerait, voire dépasserait François Hollande au premier tour de la présidentielle 2017. Pas si étonnant. Dimanche 5 juin, place Stalingrad, le cofondateur du Parti de gauche avait rassemblé autour de lui plusieurs milliers de personnes venues représenter ce qu’il appelle la “France insoumise”. Étudiants, cheminots, métallos ou encore postiers, tous mécontents, ont défilé sur l’estrade. Ce n’est donc pas tant en leader d’une formation politique que Mélenchon se présente, mais plutôt comme le représentant autoproclamé de cette France qui refuse de se soumettre. Petit tour d’horizon.
Quand la France est insoumise, elle le dit ET elle l’écrit.

“Je ne voterai plus jamais pour lui, ça c’est certain. Jamais.” Dans les rangs, le ton est donné : les déçus vis-à-vis de François Hollande sont nombreux. Il faut dire qu’en 2012, beaucoup d’entre eux avaient accordé leur voix au candidat socialiste dans l’espoir d’un renouveau politique. Mais aujourd’hui, le constat est amer.

Il ne faut pas se limiter à une critique de la politique du gouvernement, il faut proposer des alternatives
Étienne, étudiant

On est loin de ce qui nous avait été promis en 2012, se désole Jacques, un retraité de 62 ans. ‘Mon ennemi c’est la finance’, ça paraît tellement loin aujourd’hui !” Jean-Luc Mélenchon lui non plus n’est pas très tendre avec le président de la République, qu’il qualifie de “petit monsieur qui vous préside et qui vous a déjà tant menti”, devant une foule acquise à cette cause. Car parmi tous ces Français “insoumis”, la “trahison” n’a toujours pas été digérée. “J’avais voté contre Sarkozy, donc effectivement on peut dire que j’avais voté pour Hollande, confie Magali, une chômeuse parisienne de 49 ans. Aujourd’hui, c’est plus que du regret que je ressens… Je suis frustrée et je me sens trahie.”

Le changement, ce serait maintenant finalement ? Dimanche 5 juin, il était en tout cas dans toutes les têtes. Comme un impératif face à une situation qui ne peut plus durer. “Il y a urgence, pose Jacques. On se sent abandonnés. Je suis là pour défendre l’avenir, l’avenir de mes enfants, l’avenir de mes petits-enfants… Et me battre contre tous ces traitres du Parti socialiste.” Le discours anti-Hollande et anti-gouvernement tenu par Mélenchon a semble-t-il largement trouvé son public. Malgré tout, certains restent sceptiques : “Il ne faut pas oublier de rester dans le concret, prévient Étienne, étudiant en droit. Il ne faut pas se limiter à une critique de la politique du gouvernement, il faut proposer des alternatives.”

Une insoumission multiple

“On voit émerger des insoumis d’horizons très variés”, remarque Adeline, 59 ans, venue de Bruxelles exprès pour l’événement. En effet, ce qui semble caractériser cette France insoumise, c’est sa diversité. Rudy, un parisien de 31 ans, tente d’expliquer ce qui rassemble tous ces gens : “En gros c’est la France, dans toute sa diversité, avec ses conditions de travail, avec ses galères, ses points positifs aussi, et

On est insoumis par rapport aux mauvais salaires, par rapport aux conditions de travail qui sont de plus en plus dures, par rapport aux inégalités qui sont de plus en plus criantes, par rapport aux salopards d’en haut qui se mettent des millions dans les poches tandis que pour nous tous c’est assez difficile
Rudy, insoumis

avec sa volonté de vivre ensemble dignement.” D’un côté, on retrouve les soutiens historiques de Mélenchon, ceux qui sont là depuis le début. “Je l’ai toujours suivi, explique Jacques. Depuis qu’il a claqué la porte du Parti socialiste il y a une dizaine d’années, je suis derrière lui.” De l’autre, on retrouve ceux qui se sont laissés convaincre récemment ou ceux qui ne sont pas encore complètement sûrs d’eux pour 2017. “Mon vote n’est pas encore arrêté, avoue Magali. Ma seule certitude, c’est que je ne voterai pas Hollande.”
Mais concrètement, contre quoi se bat-on quand on est un Français insoumis ? Là, les réponses sont moins évidentes. “Contre le Front national” pour les uns, “contre le système” pour d’autres, ou encore “contre les inégalités”… On ne sait plus vraiment. Rudy tente pourtant d’apporter une réponse claire : “On est insoumis par rapport aux mauvais salaires, par rapport aux conditions de travail qui sont de plus en plus dures, par rapport aux inégalités qui sont de plus en plus criantes, par rapport aux salopards d’en haut qui se mettent des millions dans les poches tandis que pour nous tous c’est assez difficile. Donc on a envie de dire ‘non, ça suffit comme ça.’ Mélenchon, c’est notre porte-drapeau. »

“Cette fois, c’est la bonne”

Pour Adeline, pas de doute : “Oui, cette fois, c’est la bonne. Sa candidature vient à point nommé, vu tout ce qui se passe dans le pays, les tensions qui montent…” En effet, la campagne semble plus facile à appréhender que celle de 2012 pour Mélenchon, lui qui est crédité de 14 % des intentions de vote (TNS Sofres), soit plus que les 11,11 % obtenus à l’élection de 2012. Pourtant, la voie n’est pas totalement dégagée pour l’ancien socialiste : une partie de la gauche, et notamment les communistes, ne comprend pas son lancement en solitaire dans la course à la présidentielle. Pierre Laurent, réélu secrétaire national du Parti communiste le jour-même, a condamné la décision de Mélenchon de partir seul à l’aventure. Il y avait pourtant dans la foule place Stalingrad, ce jour-là, des membres du PCF venus soutenir le candidat.
Pourtant, à l’heure actuelle, Jean-Luc Mélenchon n’a récolté qu’une cent-cinquantaine de signatures d’élus sur les 500 nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle. La route est encore longue.

Texte et photo par Yanis Sicre