LUMIÈRES

Martin Scorsese refait son cinéma

Invité d'honneur au festival Lumière de Lyon, Martin Scorsese y a reçu le prix Lumière 2015. Septième lauréat après Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino et Pedro Almodóvar, le réalisateur du Loup de Wall Street a profité de cette semaine de mise à l'honneur pour se détendre, faire redécouvrir sa vision du cinéma et parler de lui.

Entre deux riffs de Jumpin’ Jack Flash des Rolling Stones, sur une scène bondée de réalisateurs du monde entier – Abbas Kiarostami, Elia Suleiman, Michel Franco, Matteo Garrone… –, Martin Scorsese s’est doucement approché de Jean-Pierre Jeunet (Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Delicatessen…) pour lui parler à l’oreille. Au beau milieu d’un hommage vibrant de milliers de personnes au “Kurozawa de la 42e rue” comme le surnomme son hôte Thierry Frémaux, le réalisateur de Taxi Driver, Les Affranchis et La valse des Pantins n’a pas pu s’empêcher de partager ses émotions. Son truc à lui, asthmatique de naissance, c’est le cinéma et les films. Rien d’autre. Réalisateur, évidemment, mais aussi restaurateur de vieilles bobines et passeur, encore et toujours. Comme Tarantino, il a fait de chaque personne passée derrière la caméra un frère ou une sœur d’armes, sans chapelle ni jugement. “J’ai vu trois fois L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet, glissera-t-il au réalisateur français, très touché. Deux fois seul et une fois avec ma fille et ses copines, lors de son anniversaire où elle avait organisé une projection du film.”

« Moi aussi, les mots m’ont fait défaut »

Au festival Lumière de Lyon, Martin Scorsese s’est ainsi senti comme chez lui. Partager toutes sortes de films, et surtout à plusieurs. Quand le New-Yorkais présente une pépite de 1924, Larmes de clown de Victor Sjöström – “l’histoire d’un

Je n’ai jamais acheté de caméra. Je pouvais cadrer et monter mais la façon dont la pellicule réagissait à la lumière, ça, je n’y comprenais rien
Martin Scorsese

clown qui reçoit des gifles”, Virginie Efira introduit avec enthousiasme Le Temps de l’innocence. Toute la semaine, Scorsese aura partagé sa joie. Il aura profondément ri avec Pierre Richard et sa poésie, évité la chute de l’immense Max von Sydow dans les escaliers menant à la grande scène, fait la bise à Gaspar Noé, vu passer Vincent Lacoste et son écharpe rouge digne du monde hippique autour du cou ; mais surtout il aura dirigé Michel Hazanavicius, un chien, deux vélos et une bonne centaine de participants en trois prises pleines de conseils à son improbable casting d’un jour, de Michèle Laroque à Richard Anconina, lors d’un tournage éphémère de La Sortie des usines Lumière, en plein soleil. “Je n’ai jamais acheté de caméra, en rigolera le réalisateur. Je pouvais cadrer et monter mais la façon dont la pellicule réagissait à la lumière, ça, je n’y comprenais rien. Dans mon quartier, c’était soit sombre, soit la nuit mais j’aimais bien tourner dans un couloir. Avec des ampoules, donc…”

À Lyon, il a pourtant bien parlé caméras. Il a aussi reçu des pellicules issues des films des frères Lumière, échangé avec Salma Hayek entre deux interminables discussions avec les adolescentes venues la voir, entendu le rire de Laurent Gerra sur les premières images de course en sac filmées par les frères Lumière ou revu l’extrait d’Autour de Minuit. Quand le Scorsese acteur donnait la réplique au mythique jazzman Dexter Gordon ainsi qu’au jeune François Cluzet, qui ne parlait “pas un seul mot d’anglais” et était pris pour un figurant et prié de dégager le plateau par l’équipe technique. “Moi aussi, les mots m’ont fait défaut, confiera le lendemain Scorsese, si bien que ce qu’il s’est passé dans ma vie, avec mes proches, s’est fait par le biais du cinéma.” Très ému par un extrait de Laurel et Hardy au Far West qu’Alain Resnais avait demandé de passer pour ses propres obsèques, Scorsese a été pris par surprise quand, alors qu’un film de dix minutes sur ses propres œuvres était projeté, la salle s’est enflammée pour la scène de Matthew McConaughey dans Le Loup de Wall Street, bien plus que pour celle du “Talkin’ to me” de Taxi Driver. “La joie d’haïr et la joie d’aimer des personnages indéfendables”, lui écrira et fera lire Bertrand Tavernier, absent pour convalescence. “Il n’y avait pas de livres chez moi, rien, donc la poésie, l’art, la musique, c’est le cinéma qui me les a apportés”, avoue le réalisateur de Les Nerfs à Vif.

Moins d’images, plus de musique

La musique. Ses documentaires sur les Stones ou Bob Dylan devraient prochainement être suivis d’un projet avec une autre légende du rock, le Boss lui-même, comme il l’a confié. “J’aime les Stones parce que j’étais sensible aux cordes, précisera Scorsese. Mon frère jouait de la guitare et moi, je viens de Django Reinhart, du Hot Club de France de Stéphane Grappelli comme du concerto de violon de Beethoven, du son du Mississippi aussi, de la beauté, de la souffrance et

Il ne s’agit pas de créer des listes de scènes, c’est mieux que ça, c’est réévaluer la contribution d’auteurs oubliés et aider à lire les images C’est un trésor. Un des problèmes aujourd’hui est l’invasion des images tout le temps, partout. Les jeunes connaissent le monde comme ça et il y a besoin de guides, mettre les images dans un contexte, les expliquer
Martin Scorsese

de l’émotion des cordes, le Blues. Van Morrison, Neil Young, Joni Mitchell aussi…” Sa passion des Rolling Stones, elle, reste intacte malgré leurs élucubrations d’un autre âge: “Les Stones bougent et ont une façon d’être au monde dionysiaque, sincère, qui perdure…” C’est cette même sincérité de l’interprétation vibrante et toute personnelle de New York New York par Camélia Jordana qui l’a touché, aussi, de manière inédite, avant que la chanson ne soit reprise en chœur sous forme de… karaoké par toute l’assistance pour conclure l’hommage rendu par toute une ville. Les mots de Scorsese seront ceux d’un passeur, encore : “Permettre l’inspiration des plus jeunes, c’est la clé. Les films sur le cinéma ont un sens, contrairement à ce que disent certains réalisateurs qui n’y voient que l’essoufflement d’un art. Il ne s’agit pas de créer des listes de scènes, c’est mieux que ça, c’est réévaluer la contribution d’auteurs oubliés et aider à lire les images C’est un trésor. Un des problèmes aujourd’hui est l’invasion des images tout le temps, partout. Les jeunes connaissent le monde comme ça et il y a besoin de guides, mettre les images dans un contexte, les expliquer, autant celles d’animation que les films de Bergman. Réfléchir à la manière dont elles sont mises en scène.” Avec la volonté de rendre hommage à John Cassavetes, Elia Kazan et Bertrand Tavernier : “À tous les propriétaires de films du monde entier, s’il vous plaît, ne compliquez pas la vie d’un Bertrand Tavernier, son aide est précieuse, elle permet de s’intéresser à autre chose qu’à des vidéos de six secondes sur iPhone.”

C’est très précisément sous les objectifs de smartphones qu’Alain Chabat est venu, lui, devant 5 000 personnes, à la halle Tony-Garnier et à l’heure du coup d’envoi de la déroute française contre les All Blacks, pour introduire la Nuit de la Peur – quatre films de genre. Pour rester dans l’esprit du festival, Chabat a balancé deux informations : la première est qu’il aime “les films qui foutent les jetons”, la seconde est qu’il vend une Volkswagen “modèle Nadine Morano, toute blanche”. Un cri d’un spectateur précisant “avec l’intérieur tout pourri !” aura déclenché le fou rire du réalisateur de Didier. Qui devrait revenir l’année prochaine pour une nuit… Alain Chabat.

Depuis le 14 octobre et jusqu’au 14 février 2016, Martin Scorsese fait l’objet d’une exposition à la Cinémathèque. Retrouvez toutes les informations ici.

CONCOURS / Pour tenter de gagner des entrées pour l’exposition, envoyez-nous vos coordonnées par mail à concours@society-magazine.fr. Les cinq plus rapides remporteront deux entrées chacun.

 

Par Brieux Férot