HUMAIN

Médine : “Je voulais ramener des informations sans parasiter le message avec mon esprit européen”

En décembre, Médine s’est offert un périple en Birmanie. Une expédition humanitaire à la rencontre des Rohingya, minorité musulmane oppressée par une faction de moines bouddhistes radicaux. De quoi revenir en France avec le morceau Nour, un clip et des carnets aux pages noircies de notes. À l’occasion de la sortie de son cinquième album, Prose Élite, souvenirs de voyage avec le rappeur du Havre.

Pourquoi être parti en Birmanie ?

Pour corroborer certaines sources concernant la situation des Rohingya. Je voulais voir si la Birmanie, du moins l’État d’Arakan, à l’est du pays, était vraiment dans la situation décrite. Parfois, l’utilisation d’Internet est maladroite. On va montrer des images tournées en Birmanie, mais non liées aux Rohingya. Cela équivaut à manipuler les images, leur faire dire autre chose que ce qu’elles ont vocation à dire. J’ai eu l’opportunité de participer à un convoi humanitaire avec une association nommée HAMEB, pour Halte au massacre en Birmanie. Ce collectif s’emploie à diffuser de l’information de première source. J’ai compris qu’il fallait que j’y aille maintenant, parce que je n’irai sans doute pas à l’avenir pour cueillir des champignons. Le hasard du calendrier a fait que je suis parti un 10 décembre, date de la journée internationale des Droits de l’homme. Je suis resté là-bas près de huit jours.

Que se passe-t-il précisément en Birmanie avec les Rohingya ? D’où vient ce conflit ?

Lorsque la junte birmane a été destituée, il y a eu une sorte de recensement des minorités. Parmi elles, on compte les Rohingya. Pourtant, ceux-ci n’ont pas été

Il y avait de tout : des reportages à la Yann Arthus-Bertrand, où la Birmanie est présentée comme le pays aux mille pagodes, d’autres où le pays avait l’air d’être la Corée du Nord, un coin avec des routes fantômes et des mineurs travaillant dans les carrières. Sur place, j’ai compris que c’était ni l’un ni l’autre
Médine

comptabilisés, car selon une croyance, ils seraient des Bengali venus travailler pour le compte de la colonisation britannique, c’est-à-dire des gens ayant bénéficié du système colonial. En vérité, la présence des Rohingya musulmans en Birmanie remonte à plus longtemps que les colonies. J’ai vu des mosquées datant d’avant l’époque britannique, aujourd’hui fermées et cachées par des panneaux publicitaires. Cette théorie est donc vite démontable. En plus de ce socle pseudo historique raccrochant la présence des Rohingya à l’immigration bengali, il y a tout un discours religieux, une sorte de croisade du bouddhisme contre le potentiel envahisseur musulman. Je vois beaucoup de ressemblances avec le contexte européen, cette peur du “péril vert” qui viendrait s’installer sur l’Occident. Cette persécution est menée par une minorité de moines extrémistes, dirigés par un dénommé Wirathu. Le Time Magazine l’a surnommé le “Ben Laden birman” tellement il est virulent. Malheureusement, les Rohingya sont désalphabétisés. Ils ne peuvent former d’élites faisant valoir la cause de cette population en dehors des frontières du pays. Pour essayer de réformer leur condition de vie, ils ne peuvent compter que sur les organisations humanitaires et les militants associatifs.

Avant de partir, quelle image avais-tu du pays ?

J’ai regardé quelques documentaires sur le sujet. Il y avait de tout : des reportages à la Yann Arthus-Bertrand, où la Birmanie est présentée comme le pays aux mille pagodes, d’autres où le pays avait l’air d’être la Corée du Nord, un coin avec des routes fantômes et des mineurs travaillant dans les carrières. Sur place, j’ai compris que c’était ni l’un ni l’autre. Il s’agit d’une région du monde en voie de développement. Mais les priorités ne se portent pas forcément sur l’éducation ou la liberté de la presse, plutôt sur la téléphonie accessible à tous. D’après les membres d’HAMEB, personne n’avait la possibilité de naviguer sur un smartphone il y a encore quatre ans. Dans l’État d’Arakan, il n’y avait même pas de réseau. Quatre ans plus tard, j’ai pu faire des Facebook Live depuis des camps de Rohingya.

Rations.

Comment vivent les Rohingya ?

Dans les villages, ils ont une liberté relative. Les Rohingya peuvent posséder des terres, les cultiver et se déplacer, mais avec des contrôles plus poussés que la moyenne de la population. Je n’ai eu accès que deux fois aux camps, grâce à des autorisations difficiles à obtenir. On dirait le Far West. Tu passes le premier checkpoint, puis le second, puis tu vois un chemin de fer qui balafre toute la surface des camps. C’est immense, tu ne ressens pas immédiatement la privation de liberté. À l’intérieur, il y a beaucoup de petits commerces, de contrebande, de bricolage. Des femmes marchent avec des parapluies colorés pour se préserver du soleil. La présence de l’aide humanitaire y est beaucoup plus prononcée que dans les villages. C’est un problème, car les villageois ont également besoin d’aide humanitaire. Ils n’y ont pas accès, parce qu’ils ne répondent pas aux critères de besoin, selon une classification.

Des critiques s’élèvent contre le silence d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix 1991. Qu’en penses-tu ?

Quand tu es prix Nobel, il faut être à la hauteur et dénoncer les situations

Les villageois n’ont pas accès à l’aide humanitaire parce qu’ils ne répondent pas aux critères de besoin, selon une classification
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d’absence des droits de l’homme. Qu’elle ne s’exprime pas sur une situation qui concerne son propre pays, qu’elle n’ose même pas prononcer le nom de la minorité, c’est quand même assez dramatique. Les militants et les associations sont très virulents contre Aung San Suu Kyi. Je suis d’accord, mais je relativise d’un point de vue géostratégique. En tant que ministre des Affaires étrangères et membre de l’opposition (elle n’est plus membre de l’opposition à proprement parler dans la mesure où son parti a gagné les élections législatives en novembre dernier, mais elle doit toujours composer avec la junte militaire, qui détient notamment un quart des sièges au Parlement, et donc assurer le compromis, notamment sur la question des Rohingya, ndlr), elle est tenue à une sorte de diplomatie de circonstances. Aung San Suu Kyi ne peut pas trop s’engager sur la question, sinon ses détracteurs vont lui tomber dessus. Elle risque de perdre le rapport de force qu’elle doit conserver pour maintenir l’équilibre du pays.

Durant ton voyage, tu as enchaîné les lives Facebook et les posts sur Snapchat. Une façon de documenter ton périple ?

Concernant la situation des Rohingya, les sources sont multiples, parfois peu fiables. Je voulais contribuer à ramener des informations de première source, sans commentaires, sans parasiter le message avec mon esprit européen ou un regard trop émotionnel. Je voulais montrer ce que je voyais, et rien d’autre. Les réseaux sociaux servent aussi à ça. Dans beaucoup de situations, ils ont été des leviers importants pour impulser des mouvements ou faire pression sur les gouvernements.

Sur place, il paraît que Florin Defrance, ton vidéaste, te surnommait “Bernard-Henri Lévy” pour te chambrer…

Et moi, je l’appelais Arielle Dombasle ! Florin m’a vu avec un sac de riz sur l’épaule filer un coup de main à une vieille dame. Je l’ai fait spontanément, mais je savais que j’allais m’en prendre une. En mettant le sac sur mon bras, je lui ai d’ailleurs dit : “Je te fais une Kouchner, ne me filme pas.” On ressent un peu de gêne à être un Européen parachuté dans ce contexte. Je suis un artiste, pas un humanitaire. Ma vocation première n’est pas de faire de l’humanitaire, mais ramener de l’information et écrire un morceau sur le sujet. Pour dédramatiser cette gêne, on se vannait entre nous.

Le dernier jour du voyage, tu as assisté à un combat de lutte birmane. Alors, ça donne quoi ?

C’est impressionnant ! On est tombés sur une espèce d’arène dans un endroit reculé par rapport à la ville. Il y avait du monde agglutiné autour d’un cercle. Je me suis faufilé, j’ai grimpé sur le toit d’un taxi pour mieux voir. Le chauffeur ne voulait pas que je monte, il avait peur que je détruise ses amortisseurs. Je lui ai filé quelques kyats (la monnaie locale, ndlr) et son toit s’est transformé en tribune officielle. Le combat était impressionnant. Des tambours suivaient le rythme. Quand il n’y avait pas trop de frictions, les tambours étaient lents. Quand le combat s’intensifiait, ils accéléraient. On aurait dit la scène d’ouverture de Rambo 3.

Certaines figures œuvrant dans le monde humanitaire peuvent-elles quand même t’inspirer ?

Ce que fait Akon sur le plan électrique en Afrique, ça me parle (le chanteur sénégalois-américain a lancé une initiative visant à distribuer de l’électricité dans les zones les plus reculées du continent, ndlr). Il y a aussi l’association caritative Giving Back, qui soulève des fonds pour apporter un savoir ou donner des cours de sport dans des zones sinistrées. Parfois, elle travaille avec des champions NBA. Ces projets sont dans la justesse et la mesure, pas dans l’étalage, pas dans le côté “je vais repasser ma chemise et faire mon beau brushing pour parader au milieu d’une zone sinistrée, pour que l’on me voie comme un Superman venant en aide à toutes les populations”. J’espère que l’on ne me perçoit pas comme ça, sinon j’aurai loupé mon projet.

Par Grégoire Belhoste / Photos : Cheez Nan