Fashion Week

Models réduits

Dans le cadre de la Fashion Week, le ministère de la Culture accueillait, le vendredi 2 octobre, la troisième édition du Dwarf Fashion Show : un défilé d'une dizaine de mannequins de petite taille, destiné à changer le regard des gens sur leur handicap. Reportage entre petites pointures, stress et paillettes.
Jordanna James sous les ors de la République.

Sur le perron du ministère de la Culture, les colonnes de Buren ont déjà servi comme décor pour un show, un peu plus tôt dans la journée. “Le défilé est terminé”, explique un membre du personnel à un photographe qui semble chercher son chemin. Il s’obstine et trouve finalement le salon où est rassemblée la dizaine de mannequins de “petite taille” du Dwarf Fashion Show. Visiblement surprises par le nombre de médias présents, les filles se prennent au jeu des journalistes, certaines ne pouvant répondre aux questions parce qu’elles sont “trop occupées”. Cet évènement, créé en 2014 par l’agence new-yorkaise Creative Business House et l’association française Donnons-leur une chance, rassemble des modèles mesurant moins d’1,30 mètre, dans le but de renverser les diktats discriminants de la mode et leur donner l’opportunité de s’exprimer. Repérées en amont sur les réseaux sociaux, “toutes celles qui ont osé postuler ont été prises”, se satisfait l’une d’elles.

“Si on reste en groupe, on alimente les fantasmes”

Aujourd’hui, pour cette troisième édition, elles sont anglaises, américaines et françaises. Ensemble, elles assument totalement leur taille, même si, lorsqu’il s’agit de s’habiller, cela reste un handicap . “J’adore les chaussures à talons, mais c’est très difficile à trouver!” Parmi les débutantes, Ophélie, lycéenne de 17 ans, a fait le déplacement depuis Beauvais avec sa sœur. Elle se tient droite, une main sur la hanche et un tatouage tout en transparence : “C’est l’œil de mon père.” Un père de petite taille, lui aussi, qui a beaucoup soutenu ses deux filles. Pourtant, lorsqu’on lui apporte une paire de talons hauts rouges vernis, on sent une certaine confusion dans son regard. Une fois qu’elle les a enfilées, la jeune femme peine à marcher. À 30 minutes du défilé, elle s’entraîne avec rigueur, sans jamais flancher.

Ophélie, 17 ans, a fait le déplacement depuis Beauvais.
Ophélie, 17 ans, a fait le déplacement depuis Beauvais.

Pour Ismahan, 27 ans, “il ne faut pas attendre que les choses changent d’elles-mêmes, c’est à nous de les faire évoluer”. Maquillée comme une poupée, elle scintille dans sa robe à sequins vert émeraude. Et c’est sans tabou qu’elle raconte son quotidien avec son compagnon : “Mon mari est de taille classique et, au début, les gens qui ne nous connaissaient pas nous regardaient bizarrement dans la rue.

Le monde de la mode nous exclut. On n’existe pas dans leur esprit. Là, on a une créatrice qui nous envisage
Mary Russell

C’est une réaction normale. Quand quelqu’un est en fauteuil roulant, c’est la même chose. Heureusement, une fois que je parle, les préjugés s’envolent. D’ailleurs, ce n’est pas parce que je suis de petite taille que je n’ai que des amis à mon niveau, bien au contraire. Si on reste en groupe, on alimente les fantasmes.”

En backstage, la créatrice pose les dernières retouches à la robe de mariée et donne quelques instructions à ses modèles d’un jour. Les filles cachent leur émotion. Comme la majorité d’entre elles, l’Américaine Jordanna James a toujours souhaité être mannequin. “Aujourd’hui, c’est un rêve qui se réalise. La Fashion Week de Paris, c’est ce qu’il y a de plus prestigieux.” 

Britney Spears, catwalk et flashs qui crépitent

Après avoir patienté plus d’une heure à l’extérieur, les convives prennent place autour du podium. La chanson de Britney Spears et Iggy Azalea, Pretty Girls, tourne en boucle et annonce la couleur : “Partout dans le monde, jolies filles – Essuyez le sol avec tous les mecs – Pour des verres, faites du bruit – On est tellement jolies – On finit toujours par avoir ce qu’on veut.” Parée de ses ailes, Mélissa s’élance en premier sur le catwalk. Les flashs se déchaînent.

Mélis.a déploie ses ailes avant de monter sur le podium.
Mélissa déploie ses ailes avant de monter sur le podium.

Dans le public, Mary Russell, une fashionista de petite taille a fait le voyage depuis Londres : “Je suis venue spécialement pour ce défilé, pour voir mes sœurs. C’était incroyable, j’ai l’impression d’avoir attendu toute ma vie ce moment. C’est assez fort en émotion, d’ailleurs. Le beau nous concerne enfin!” Elle semble presque envier celles qui ont défilé. “Le monde de la mode nous exclut. On n’existe pas dans leur esprit. Là, on a une créatrice qui nous envisage.” Pour elle, la plupart des tenues sont portables, les autres peuvent être arrangées avec un peu d’imagination. Mary insiste, elle met un point d’honneur à porter les mêmes vêtements que Mme Tout-le-Monde : “J’ai la chance –et le talent– de pouvoir prendre une fringue et m’imaginer dedans en la retravaillant. Le pantalon que je porte n’est pas fait pour moi, mais je l’ai repris en totalité. C’est ma personnalité, je n’aime pas abdiquer ou me sentir battue.”

Des chaussures à talons, taille 31.
Des chaussures à talons, taille 31.

Finalement, les personnes de petite taille auraient-elles le vent en poupe ? Pour Mary, c’est une évidence : “En ce moment, les Américains veulent des personnes comme nous. Notamment les producteurs de shows télé et de télé-réalité. On m’a approchée pour toutes sortes de programmes. J’en ai refusé un et je discute avec deux productions en ce moment. Je dirai oui s’ils font passer un message positif sur notre condition.” En attendant, deux autres défilés ont déjà été programmés l’année prochaine, à Dubaï et Tokyo.

Par Romane Ganneval et Joachim Barbier / Photos : Romane Ganneval