COP21

Pascal Canfin : “Le climat n’est pas seulement une question environnementale”

Ancien ministre délégué au Développement, Pascal Canfin est aujourd'hui conseiller principal pour le climat du World Resources Institute, l’un des principaux think tanks du secteur de l’environnement, et sera bientôt directeur général du WWF. Qui de mieux placé pour évoquer les enjeux de la COP21, qui s’est ouverte à Paris aujourd'hui ?

On nous vend la COP21 comme un événement historique et déterminant. Mais on a envie de dire : en quoi par rapport aux 20 sommets sur l’environnement qui l’ont précédée ?

Parce que c’est vraiment LA conférence où l’on doit réussir ce que l’on a échoué à faire en 2009 à Copenhague : autrement dit obtenir le premier accord universel sur le climat, signé par la Chine, le Brésil, les États-Unis, etc. Le deuxième élément déterminant, c’est qu’il faut que cet accord respecte ce que les scientifiques nous demandent, à savoir ne pas dépasser deux degrés de réchauffement climatique. En gros, le réchauffement climatique, c’est comme une fièvre. La température moyenne de la planète, c’est quinze degrés. Si on augmente de deux, les scientifiques disent : ‘Ça augmente, c’est pas bon, mais ça reste gérable.’ Mais si on augmente de trois, quatre, cinq, alors on franchit ce qu’ils appellent un ‘point de non-retour’ et on entre dans une réalité inconnue, avec aujourd’hui sept, demain neuf milliards d’habitants sur la planète…

Les arguments des climatosceptiques, c’est souvent de dire que ces thèses alarmistes ne reposent sur aucune certitude scientifique…

Franchement, aucun de leurs arguments ne tient la route. Oui, certes, on a connu dans le passé des périodes de refroidissement et de réchauffement. Mais on n’était pas neuf milliards d’habitants et ce n’était pas sur 100 ou 200 ans, mais sur des centaines de milliers d’années. Donc ce n’était ni le même enjeu pour l’humanité ni le même temps d’adaptation. Le rythme que l’on connaît aujourd’hui n’a jamais existé. Jamais. Il suffit d’aller en Californie, en Afrique ou en Aquitaine pour voir que les effets se produisent concrètement, parce qu’on a déjà un degré de réchauffement.

Ces dérèglements climatiques peuvent-ils mener à des troubles politiques ?

C’est le cas dans le conflit syrien ou avec Boko Haram en Afrique. En Syrie, entre 2006 et 2010, il y a eu quatre ans de sécheresse historique. Avec pour conséquence des centaines de milliers d’agriculteurs qui ont rejoint les grandes villes, et un million de personnes environ qui a migré vers l’intérieur du pays.

L’Organisation internationale du travail a récemment sorti une étude qui montre que l’accord auquel on souhaite parvenir à Paris devrait créer dans le monde jusqu’à 60 millions d’emplois
Pascal Canfin

Cela a clairement participé à déstabiliser le pays. Imaginez que cela arrive en France : le pays serait pareillement déstabilisé. En ce qui concerne le développement de Boko Haram, même si ce n’est pas la cause unique et que ce serait absurde de le laisser croire, le réchauffement climatique joue également un rôle. Boko Haram a prospéré autour du lac Tchad. Or, le lac Tchad a diminué de 80% ces dix dernières années. Imaginez quand vous perdez 80% de vos ressources en eau. Les conséquences sur l’irrigation, la sécurité alimentaire… Cela déstabilise une société. Les gens sont appauvris, alors ils se tournent plus facilement vers ceux qui sont capables de leur assurer des revenus. Autrement dit une économie illégale, mafieuse ou liée au terrorisme. Finalement, les dérèglements climatiques sont ce que l’on appelle un multiplicateur de menaces. Ils renforcent et aggravent les tensions politiques. C’est pour ça que l’enjeu du climat n’est pas seulement une question environnementale, mais profondément une question de paix et de sécurité.

Y a-t-il des pays qui ont intérêt à voir échouer la COP21 ? À Kyoto, le Sud n’était pas engagé, à Copenhague les États-Unis et la Chine, les deux plus grands pollueurs, attendaient que l’autre fasse le premier pas et finalement, cela a été un échec…

D’abord, il y a la Russie. Pour des raisons assez éloignées du climat. Déjà, c’est cynique, mais la Russie considère que la fonte des glaces au Nord lui libère la route de l’exploitation du pétrole et du gaz. Puis, il y a le risque que Poutine, pour des raisons purement diplomatiques –la Syrie par exemple–, choisisse de refuser de signer. Ce serait une façon de prendre en otage la COP21 pour envoyer des messages sur d’autres sujets. C’est un scénario possible. L’Arabie saoudite, qui a apporté une contribution insuffisante et tardive, est le pays qui a le plus bloqué l’avancée des négociations sur la COP. Elle est clairement en première ligne pour faire en sorte que l’accord de Paris soit le moins ambitieux possible. Ensuite, il y a l’Inde. L’Inde, qui sera le pays le plus peuplé en 2022, c’est un vrai sujet de développement : est-ce que les Indiens vont penser que l’accord va les contraindre dans leur développement ou, au contraire, considérer qu’il peut leur permettre d’accéder à des technologies vertes, à plus bas coût, plus facilement ? Enfin, le dernier élément, ce sont les pays africains. Aujourd’hui, il y a un sous-financement massif de ce qu’on appelle ‘l’adaptation’. C’est-à-dire aider les pays qui sont à la fois les plus pauvres et les plus vulnérables au dérèglement climatique, comme ceux de la bande sahélienne, par exemple. On est très en dessous des engagements qu’on avait pris avec ces pays.

Sur de nombreux points, certains pays n’ont pas respecté leurs engagements passés. En fait, ce genre d’accord, c’est un peu comme les campagnes électorales, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, non ?

Absolument. C’est comme un contrat de mariage. On ne peut pas vous empêcher de sortir du jeu, de dire : ‘Ça suffit, je reprends mes billes.’ Pourtant, le contrat de mariage, il existe. Paris, c’est un peu ça : on s’associe pour lutter ensemble contre le réchauffement climatique avec un objectif commun, les fameux deux degrés. Mais si un Républicain est élu à la Maison-Blanche l’année prochaine –ce que je ne souhaite pas pour de nombreuses raisons, bien au-delà du climat–et qu’il dit : ‘Moi, l’accord de Paris, jamais entendu parler, je défais les lois américaines qui sont celles qui vont permettre d’appliquer cet accord’, eh bien à ce moment-là, effectivement, l’engagement est détricoté et il ne tient plus. Donc, au fond, l’accord de Paris repose sur la volonté des gouvernants à le mettre en œuvre. Mais c’est vrai pour tous les contrats. Si on voulait vraiment être ambitieux et à la hauteur du sujet, il faudrait faire pour le climat ce qu’on a fait pour le libre-échange. L’OMC a été capable de créer un tribunal qu’on appelle l’ORD (l’Organe de règlements des différends, ndlr) : quand un État applique une politique qui n’est pas jugée conforme par l’OMC, il y a un tribunal. L’accord de Paris ne produira pas ça, je le regrette, mais pour moi, c’est clairement la prochaine étape.

En quoi est-ce que lutter contre le réchauffement climatique peut susciter l’avènement de modèles économiques vertueux ?

L’Organisation internationale du travail a récemment sorti une étude qui montre que l’accord auquel on souhaite parvenir à Paris devrait créer dans le monde jusqu’à 60 millions d’emplois net –donc en tenant compte de ceux qui vont disparaître, dans le charbon par exemple. C’est bien la preuve que l’idée selon laquelle il faudrait opposer les emplois, les entreprises, l’industrie, la compétitivité à cette transition, est absurde. C’est une question de moyens, de volonté, et de lutte contre ceux qui ne veulent pas que ça bouge. La prédiction des experts en 1900 à Paris était que la principale menace, c’était le crottin de cheval. Parce qu’il y avait 80 000 chevaux qui circulaient tous les jours. Ils avaient fait une courbe et étaient arrivés à la conclusion qu’en 2020, Paris croulerait sous le crottin de cheval ! J’imagine que les constructeurs de diligence ont du faire un lobbying d’enfer pour que l’automobile ne se développe pas. Mais on a inventé la vapeur, l’électricité, les vaccins dans le passé, pourquoi on serait tétanisé à l’idée d’inventer l’économie bas carbone ? On va le faire !

 

Lire : Climat – 30 questions pour comprendre la conférence de Paris, par Pascal Canfin et Peter Staime (Les Petits Matins)

Par Vincent Riou / Photo : Renaud Bouchez