Squat Story

Ils sont de plus en plus nombreux à squatter les bâtiments abandonnés pour en faire des lieux de création et d’expression. En plein cœur de Paris ou en périphérie, ils donnent une seconde vie à ces endroits. De la soirée à thème aux vernissages d’expos, en passant par l’organisation de déjeuners de quartiers, ils changent l’idée que l’on peut se faire des squats. Démarche militante ou simple envie d’embêter les voisins, ces nouveaux ateliers d’artistes ont le vent en poupe. Au point de passer de l'illégalité à la légalité.
Alexandre Gain dans son atelier.

“Ce que j’aime c’est remplir des espaces qui n’ont pas vocation à être habités.” Silhouette longiligne, grands yeux clairs et bretelles sur les épaules, Alexandre Gain reçoit entre deux gorgées de bière. Président du collectif artistique associatif de l’Ourcq dans XIXe arrondissement de Paris depuis 2012 et aujourd’hui installé à Bagnolet, il n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Il y a quelques années déjà, il sillonnait Paris et ses environs avec un pote, à la recherche du spot idéal : “Depuis mes 18 ans je squatte des lieux inoccupés. Au début, j’organisais des teufs, des free-parties, c’était un délire entre potes, maintenant ça a changé.”

C’est d’abord au bien nommé Point G, dans le nord de Paris, qu’il officialise son premier squat artistique officieux. Installé dans une ancienne gare, cet espace de vie est tourné vers la communauté. “J’avais envie de plus, de changements”, explique-t-il. On voulait créer de l’interaction avec nos voisins et pas seulement faire quelque chose pour nous. On n’avait pas mal de matos. Quand les écoles ou des associations organisaient des fêtes, on le leur prêtait.” Une vraie vie de quartier commence alors. Les dîners, déjeuners et expositions renforcent les liens. Ici, ils finissent par faire partie intégrante du paysage. Enfin, presque : “Soit on nous adorait, soit on nous détestait. Certains nous voyaient comme des personnes gênantes, ils voulaient qu’on parte.” Ce qui devait arriver arriva. En 2013, poursuivis par la justice, ils sont obligés de partir. La joyeuse bande de potes s’installe alors au Wonder, ancienne usine de piles située à Saint-Ouen. “Un endroit qui n’est pas ouvert au public mais juste à la communauté d’artistes qui y travaille”, pose-t-il. Sauf que garder tout pour soi, ce n’est pas vraiment son truc. Une fois n’est pas coutume, c’est lui qui quitte l’aventure.

Alexandre Gain en plein ménage.
Alexandre Gain en plein ménage.

“Une sommation de quitter les lieux, on en à déjà reçu. Mais il en faut plus pour nous virer”

Aujourd’hui, du haut de ses 24 ans, Alexandre a posé ses valises à l’Amour –décidemment–, du côté de Bagnolet. Dans cette ancienne entreprise hollandaise désaffectée, il n’y a ni eau courante, ni Internet, mais de quoi vivre d’amour et de bière fraîche. “Ce qui me choque, ce n’est pas que les artistes n’aient pas de lieu de travail, mais le fait qu’on puisse laisser des endroits inhabités, se révolte-t-il. Des sommations de quitter les lieux, on en a déjà reçues. Mais il en faut plus pour nous virer.”

Sol en béton, débit de boisson illégal, poutres apparentes et gravas en tout genre jonchent le sol. L’Amour est un joyeux bordel qui abrite une dizaine d’occupants, français et étrangers. “Il y a même des mecs du quartier qui viennent nous rendre visite. Quand ils n’ont rien à faire, ils se posent ici pour discuter.” Rencontrés au détour d’un bar, les artistes sont là pour quelques temps et profitent de cette vie de bohème pour faire des rencontres. La maisonnée vit au rythme de ses envies. Ils ne paient ni loyer ni charges. Leurs activités évènementielles ne permettent pas de couvrir tous les frais, alors ils ont chacun un boulot à côté. “On organise des évènements qui conduisent plus à de la perte qu’à du bénéfice. Les prix sont libres, alors ceux qui veulent nous aider donne un peu plus”, avance le maître des lieux. L’Amour risque un jour de fermer ses portes, et si ce n’est pas le cas, Alexandre partira quand même à la recherche d’un autre squat où s’épanouir : “Je suis jeune et ce que je fais aujourd’hui ce ne sera plus possible dans quelques années. Je travaille dans la menuiserie, l’ébénisterie, ce qui me permet de gagner un peu d’argent et de faire le choix de vie que j’ai. M’installer dans un appartement avec mon petit confort, ça n’est vraiment pas d’actualité.” Tandis qu’une jeune femme passe, serviette sous le bras à la recherche d’une douche, un autre se promène torse nu, clavier à la main. Les autres tournent déjà à la vodka sous le soleil de plomb. Ils s’apprêtent à chevaucher leurs bécanes savamment réparées dans le garage associatif d’à côté. Au programme du soir c’est concert de Schlaasss, groupe de rap-electro-punk. Et demain ? On verra. Ici, le temps semble suspendu.

Une exposition à l'Amour.
Une exposition à l’Amour.

De l’illégalité à la légalité

 À Paris, depuis cinq ans déjà, la ville a développé une politique proactive face à ces mouvements d’occupations. “On n’est pas dans une démarche de répression. Les lieux de ‘squat dur’ ne sont pas acceptés mais des conventions sont attribuées régulièrement à des associations et collectifs qui en font la demande”, explique Théo Lecourbes, chef de cabinet du premier adjoint au maire de Paris Bruno Julliard, également chargé de la culture. Selon la pertinence des projets, différents lieux inhabités sont proposés. “Entre deux réaménagements d’un espace, le temps de latence est mis à profit de ceux qui en font la démarche. La durée de l’occupation par les collectifs peut durer en moyenne entre un et trois ans, le temps d’engager des travaux”, précise-t-il. Le cadre de l’installation est conventionné, permettant ainsi aux habitants d’un temps de se projeter sur une durée déterminée et de ne pas se sentir menacés par les autorités. “Les gens sont friands de ces endroits car ils leurs permettent une grande liberté à l’intérieur puisqu’ils vont être reconstruis par la suite.” renchérit-il. Alors que la caserne militaire de Reuilly –célèbre dans le XIIe arrondissement de Paris pour sa réappropriation par des collectifs d’artistes et des associations– s’apprête à fermer ses portes le 31 août, la mairie de Paris a réussi à reloger six associations sur sept. “On se réjouit de ces démarches et on les soutient. On préfère encadrer et donner des possibilités plutôt qu’ils s’installent dans l’illégalité”, se félicite l’adjoint de Bruno Julliard. Un cadre légal que n’a pas encore emprunté Eliott Ness, 23 ans, installé depuis cinq ans dans une usine abandonnée avec ses amis. Cet espace, ils l’ont baptisé L’Arche. Il raconte : “On a trouvé le lieu puis posé une chaîne. Cet endroit est devenu le nôtre. On pense organiser des portes ouvertes pour que le public puisse venir voir ce que l’on fait.” À travers cette volonté de liberté, de création, de solidarité et de partage, ces squats –conventionnés ou non– posent finalement, en creux, la question du logement dans les grandes métropoles.

Les adresses à visiter :

Le plus bohème : l’Amour 

24 rue Molière
93170 Bagnolet

Le plus familial : La Petite Maison

8 rue Godefroy Cavaignac
75011 Paris

Le plus complet : La Passerelle

5-7 avenue Louis Pasteur
92220 Bagneux

Le plus branché : 59 Rivoli

59 rue de Rivoli
75001 Paris

Léa Lestage