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Tatiana Medvedeva : “Mars One est un grand pas dans la bonne direction”

Lancé par l’ingénieur néerlandais Bas Lansdorp, le projet Mars One vise à installer une colonie humaine sur la planète rouge à l’horizon 2024. Il serait financé essentiellement par l’exploitation médiatique de l’expédition, façon téléréalité. Si de nombreux spécialistes ont de sérieux doutes sur l’aboutissement de l’opération, Tatiana Medvedeva, présente dans la short list des 100 candidats toujours en lice, y croit fort. Explications.
Tatiana regarde le Soleil depuis la Terre. Pour l’instant…

Où avez-vous grandi ? Quelle est votre histoire personnelle ?

Je suis née en Union soviétique, un pays qui n’existe plus. Et je n’ai jamais vécu plus de six ans au même endroit. Après avoir voyagé et travaillé dans énormément d’endroits, je me considère comme citoyenne du monde, même si, officiellement, je suis toujours russe.

Vous avez étudié en Russie ?

Oui, j’ai obtenu ma licence et mon master à l’Institut de physique et de technologie de Moscou. En parallèle, je travaillais dans un laboratoire de recherche à l’Institut de théorique et de physique expérimentale. Puis, je suis partie aux États-Unis, à l’université de Princeton, où j’ai obtenu un master et un doctorat. Je reste aujourd’hui attachée à cette université en tant que chercheuse post-doctorat, bien que je sois basée au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) à Genève. Donc, actuellement, je suis impliquée dans le développement de nouveaux détecteurs de particules.

Vous intéressez-vous depuis longtemps à l’espace ? Vous imaginiez-vous y aller un jour pour travailler ?

Je ne me suis jamais passionnée pour l’espace. En fait, je faisais partie des rares enfants qui ne rêvaient pas d’être un jour cosmonaute. Cependant, il y a quelques années l’Agence spatiale russe a ouvert les inscriptions à des civils pour devenir cosmonaute. À ce moment-là, je me suis dit ‘pourquoi pas ?’ Mais après y avoir réfléchi, j’ai décidé de ne pas le faire car selon moi, tous les projets portés par des agences spatiales gouvernementales sont totalement obsolètes.

Tous les projets portés par des agences spatiales gouvernementales sont totalement obsolètes
Tatiana Medvedeva

Vous savez que le tourisme spatial est le seul moyen pour vous d’aller dans l’espace. Rêviez-vous de gagner au loto pour pouvoir vous permettre ce genre de voyage ?

Je n’ai jamais souhaité devenir une touriste spatiale ni aller dans l’espace pour la gloire. Si je vais dans l’espace, il faut qu’il existe un but plus profond, plus significatif.

Quelle a été votre première réaction quand vous avez eu écho de cette opportunité ?

Encore une fois, je n’ai jamais réfléchi en termes d’opportunité. C’est juste que, cette fois, le projet est constructif pour l’humanité. Les scientifiques ont, en général, une pensée plus globale.

Pas de problème de logement sur Mars. Juste un peu de vis-à-vis.

 

Pour financer le voyage spatial des participants, Mars One est aussi un programme de téléréalité. Quel est votre avis sur là-dessus ?

Tout cela est faux. Mars One n’a rien à voir avec la téléréalité. C’est un projet scientifique, technologique, culturel et philosophique sans précédent. Donc il doit être scrupuleusement documenté et la télé sera l’une des meilleures façons de le faire.

Quel genre d’examens avez-vous dû passer pour être sélectionnée ?

Il y a eu des examens médicaux pour éliminer ceux qui avaient une mauvaise condition physique, des maladies chroniques ou des addictions à l’alcool, au tabac, aux médicaments, etc. Les recruteurs nous ont aussi fait passer des tests psychologiques pour vérifier notre résistance au stress, notre capacité à travailler au sein d’une équipe internationale, à réagir en cas de situation critique. Pour la dernière partie des tests, on nous a donné de la documentation sur la planète Mars : sa formation, ses particularités géologiques, son climat, son atmosphère et ses spécificités, l’histoire de son exploration, etc. L’entretien comprenait aussi des questions psychologiques visant à éliminer ceux qui n’avaient pas réalisé du tout que cette mission était une aventure collective et l’engagement de toute une vie, pas une courte aventure individuelle.

Vous allez bientôt savoir si vous ferez partie de ceux qui iront sur Mars. Êtes-vous nerveuse par rapport à ça ?

C’est un peu tôt pour être excitée. Surtout que même ceux qui seront présélectionnés et engagés par Mars One pour l’entraînement ne sont pas certains de partir où que ce soit. Il y a des années d’apprentissage et d’entraînement avant le départ et il n’y aura que quatre personnes dans le premier vaisseau spatial, pas 24. Un grand nombre d’excellents candidats seront éliminés avant que l’équipe définitive ne soit formée.

De nombreux experts portent des réserves techniques et humaines sur ce projet. Pensez-vous que de trop nombreux risques sont pris ?

Il y a toujours un risque d’insuccès quand on projette de faire quelque chose qui n’a jamais été fait. C’est comme ça que les grands accomplissements commencent. En tant que scientifique, j’ai l’habitude de tout ça. Aussi, de nombreux sports comportent des dangers. Pourtant, les athlètes n’abandonnent pas. Comme un alpiniste ou quelqu’un qui fait de l’escalade, je connais cette sensation.

Comment vous sentez-vous à l’idée de dire au revoir à vos amis et à votre famille ? Vont-ils accepter le fait que vous quittiez une vie normale pour quelque chose de dramatique, peut-être sans retour ?

(Rires) Ma vie n’a jamais été normale alors ce n’est pas le moment pour qu’elle commence à l’être. Et j’ai toujours aimé ça. C’est pour cela que je suis devenue scientifique. Je ne connais pas vraiment l’opinion publique mais mes proches sont plutôt optimistes et curieux à propos de cette mission.

Simple mais efficace.

 

Comprenez-vous que vivre sur une autre planète, dans une communauté restreinte que vous n’avez pas choisie est la définition même du cauchemar pour beaucoup de personnes ? Que leur diriez-vous pour les convaincre ?

Si c’est ainsi que vous imaginez notre avenir… Mais laissez-moi vous rappeler quelque chose : mis à part le fait que tous les candidats partagent la même passion, ils seront répartis dans des équipes basées sur leurs habitudes et leur compatibilité psychologique, puis, passeront des années à s’entraîner ensemble, renforçant ainsi leurs liens d’amitié et leur compréhension mutuelle. Donc, à la fin, l’un de nous devra passer le reste de sa vie avec trois autres personnes qui le connaîtront mieux que son conjoint, ses parents et même ses meilleurs amis. Ça semble plutôt sympa, non ? Ajoutez à ça que cette personne vivra dans un logement confortable avec la plus sophistiquée des technologies, sans jamais se soucier de la politique, de l’économie, des bas salaires, des prêts que l’on doit rembourser, de la nouvelle voiture qu’on doit acheter, des embouteillages, etc. Pour moi, ça ressemble au paradis.

Vous, comme les autres candidats, avez un haut niveau d’éducation et êtes prête à partir. Pensez-vous que les personnes lambda trouvent ça stupide ?

J’ai dit que si le projet retenait l’attention de tant de personnes surdiplômées,

Le futur de notre planète n’est pas très reluisant : nous sommes bientôt à court de pétrole et d’autres ressources
Tatiana Medvedeva

c’est qu’il devait y avoir quelque chose d’important. Tout ce que je peux faire, c’est partager mon opinion et le raisonnement qui m’a conduite à participer à cette aventure. Si l’on interroge vraiment tout le monde : qu’avez-vous fait pour les dix ou vingt générations qui arrivent ? Pourquoi cette question ? Tout simplement parce que le futur de notre planète n’est pas très reluisant : nous sommes bientôt à court de pétrole et d’autres ressources. Le jour du dépassement global (date dans l’année où les ressources renouvelables de la planète pour l’année sont consommées, ndlr) arrive plus tôt chaque année, les signes de réchauffement climatique sont de plus en plus évidents. Toutes ces choses peuvent détruire la civilisation humaine et les solutions pour éviter ça sont, entre autres, de trouver des idées pour renouveler notre propre planète, la Terre, ou trouver une nouvelle maison, une planète habitable, ailleurs.
Malheureusement, tous les dangers ne peuvent être contrôlés par les humains. De puissantes créatures ont déjà habité la Terre avant de s’éteindre. Comme les dinosaures, par exemple. On ne sait toujours pas vraiment ce qu’il leur est arrivé, mais quelque chose de similaire peut nous arriver. Que ce soit une énorme météorite, un âge de glace ou l’explosion d’une supernova. Dans chaque cas, la dispersion de l’espèce humaine sur différentes planètes semble être l’approche la plus sûre pour notre survie.
Est-ce que Mars One répond à tout ça ? Non, certainement pas. Mais c’est un grand pas dans la bonne direction. Les humains devront voyager d’étoile en étoile et peupler des planètes. Et ça passera certainement par des missions sans retour. Donc, voici notre chance de perfectionner notre colonisation dans un nouveau royaume de notre propre système solaire.

Par Vincent Riou