AVENIR

“Un pays a plus besoin de ses jeunes que l’inverse ”

Connu pour ses fameux Dîners de l’Atlantique, pour le rôle aussi central que nébuleux qu’il joue au sein de la jet-set mondiale et pour ses interventions remarquées dans la presse, Félix Marquardt affirme avoir tourné la page de la surmédiatisation. Récent fondateur du think tank Youthonomics, il voit en la mobilité de la jeunesse le remède face à la morosité du contexte mondial actuel. Rencontre.
Le grand brun avec des chaussures rouges.

Vous étiez à Davos en janvier dernier pour une conférence sur la mobilité des jeunes. D’où vient cet engagement pour la jeunesse ?

Ça a commencé à trotter dans ma tête longtemps avant le lancement du mouvement, au début des années 2000. Les jeunes sont les premières victimes d’une société sans croissance et avec un taux de chômage très haut. S’ils bougent, ils peuvent transformer ce cercle vicieux en cercle vertueux.

D’où la création de votre think tank Youthonomics ?

L’idée de base de Youthonomics, que j’ai lancé en 2014, est de créer des données qui permettent aux jeunes d’avoir toutes les cartes en main pour prendre des décisions importantes : où habiter, où bosser, où faire ses études. On classe les pays et les villes selon les opportunités qu’ils offrent aux jeunes et on leur transmet ce classement.

Alors que le programme Erasmus fête ses 30 ans cette année, quel bilan dressez-vous de l’évolution de la mobilité de la jeunesse ?

Je pense que l’avenir de la démocratie passe, par exemple, par des quotas de sièges réservés aux jeunes à l’Assemblée

Quand mes parents se sont installés à Paris en 1972, c’était un choix fort avec des conséquences pour les années à venir, il n’y avait pas de demi-tour possible. Aujourd’hui, si on fait l’impasse sur trois jeux Playstation et deux pairs de baskets, on peut aller à peu près n’importe où dans le monde. Je ne dis pas que c’est facile, mais c’est plus simple que ça ne l’a jamais été : c’est la génération easyJet. Donc si les jeunes s’emparent de cette ouverture qui s’offre à eux, le monde devient une sorte de concours de beauté de pays ou de villes qui veulent les attirer.

Pourtant, le mouvement Barrez-vous! a fait polémique en 2012. C’était le but ?

Je trouve ça choquant, dans un pays où il y a 25% de chômage chez les jeunes depuis 40 ans, que la classe politique ose prétendre qu’elle en a quelque chose à faire. Si c’était vraiment le cas, elle aurait fait quelque chose. Soit les politiques arrêtent de faire semblant et font en sorte que certaines choses évoluent, soit le monde est grand. Un pays a plus besoin de ses jeunes que l’inverse. Je pense que l’avenir de la démocratie passe, par exemple, par des quotas de sièges réservés aux jeunes à l’Assemblée.

Vous imaginez un monde sans frontières où les gens se déplacent à leur guise.

Je pense que lorsqu’on enverra des navettes spatiales vers d’autres planètes, on s’en foutra un peu de savoir si les mecs viennent de Chine ou des États-Unis. Les gamins, aujourd’hui, sont à la fois très concernés par ce qui se passe au bout de la rue et par le réchauffement climatique. Mais le truc au milieu, la nation, ils s’y identifient assez peu. Pour autant, je ne pense pas qu’il faille abolir les frontières purement et clairement. Moi, je kiffe le terroir français ! D’autant plus quand je suis à Shanghai. Donc le côté ‘partir c’est trahir’, le terroir, non, vraiment pas. Moi, quand je suis loin j’aime la France, c’est quand je suis là qu’elle me gonfle.

On constate pourtant un attrait de la jeunesse pour les thèmes défendus par le FN ou le Brexit, par exemple, pour le repli sur soi…

C’est vraiment une exception française, ça. En Angleterre, 65% des moins de 30 ans ont voté contre le Brexit. Les jeunes disent de manière assez juste : ‘Ce sont des gens de 70 ans qui ne seront plus là dans 10 ou 20 ans qui décident de notre avenir.’

Cette année, la presse a beaucoup parlé de l’absence des États-Unis à la conférence de Davos…

Trump et les Américains ont dit merde à Davos. Forcément, sans eux, les Chinois se sont engouffrés dans la brèche. Mais ce qui m’a surtout frappé, c’est qu’il n’y a eu aucune prise de conscience de la responsabilité des élites mondiales dans le Brexit et l’accession de Trump au pouvoir. Comme tout le monde, je suis très inquiet par rapport à lui. Si demain, un attentat terroriste a lieu aux États-Unis, il aura un boulevard pour en faire un pays profondément autoritaire.

Et justement, ces élites en question, vous les côtoyez toujours dans le cadre de vos fameux Dîners de l’Atlantique ?

J’avais le désir d’être un personnage public, je pensais agir mais je faisais juste des coups d’esbroufe

Je travaille toujours avec des gens de plusieurs pays, à l’intersection de la politique et des affaires. Mais la démarche qui me conduit à le faire est différente. Pendant un certain temps, j’étais toujours en en soirée, à organiser des trucs, à réunir des gens. Je ne bois plus, je ne fume plus, je ne prends plus de drogue. Je ne mène pas une vie monastique non plus mais les mondanités, ça me gonfle ! Je fais ça pour des raisons moins superficielles. Par curiosité, parce que les rencontres absurdes m’éclatent: entendre will.i.am parler d’intelligence artificielle c’est cool, non ?

C’est vrai que parfois on se demandait qui vous étiez, on vous voyait partout sans trop savoir pourquoi.

On vit dans un monde où les caméléons sont les rois du monde. J’ai surfé sur le fait de pouvoir côtoyer plein de gens différents… À l’origine, je faisais juste mon taf d’assurer la relation média des ‘puissants’ puis, de fil en aiguille, je me suis mis à gérer toutes leurs relations plus ou moins officiellement. J’avais le désir d’être un personnage public, je pensais agir mais je faisais juste des coups d’esbroufe. J’ai vécu dans l’illusion que plus ma bobine passait à la télé, plus j’étais bien.

Par Archibald Lorfanfant