CROYANCE

“Une femme présidente, c’est une belle preuve d’ouverture”

À 46 ans, Emmanuelle Seyboldt est devenue, le 26 mai dernier, la première femme à la tête de l’Église protestante unie de France, pour un mandat de quatre ans. Son objectif : sortir sa communauté de son isolement relatif pour faire corps avec la société.
Camaïeu.

Est-ce que vous pensiez à devenir présidente des protestants en buvant votre café chaque matin ?

Non, pas du tout, ça m’est tombé dessus. Mon prédécesseur avait déjà annoncé qu’il ne voulait pas faire un nouveau mandat. Il m’a contactée l’année dernière, je me demandais ce que j’avais fait. C’était assez stressant. Il est venu me voir à Besançon pour m’annoncer son souhait de me voir présidente. J’ai eu un mois de réflexion, mais j’ai très peu hésité. L’engagement religieux, c’est ma vie. Je suis née dans le protestantisme. Mes parents nous emmenaient au culte tous les dimanches. Dans mon enfance, j’ai eu un vrai questionnement sur l’existence de Dieu. L’injustice me révoltait au plus haut point et je ne la comprenais pas. Mais dans ma démarche, le refuge en Dieu m’a permis de supporter la cruauté du monde. C’est apparu très tôt chez moi. Dès l’école primaire, je disais à mes profs que je voulais devenir pasteure. L’instituteur a même convoqué mes parents : ça l’inquiétait. Après une scolarité religieuse, je me suis dirigée vers des études théologiques. J’ai tout fait pour intégrer ce master. Je me suis retrouvée pasteure à 23 ans, en Ardèche.

Pourquoi le choix s’est-il porté sur vous ?

D’une part, je connais très bien mon Église, j’ai beaucoup bougé. De la paroisse

L’engagement religieux,
c’est ma vie
Emmanuelle Seyboldt

rurale à la grande paroisse de ville à Besançon en passant par une paroisse intermédiaire. J’ai travaillé avec un hôpital, dans une gendarmerie et aussi en tant que rédactrice en chef d’un journal. Au-delà du parcours, quand j’écoute mes collègues, le fait que je sois une femme est positif. Je n’ai que les échos favorables. Mais dans notre Église – luthérienne –, 87% des paroisses dans le monde acceptent les femmes. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on voit émerger des pasteures. Quand je suis née, c’était acquis. Aujourd’hui, des collègues me disent même : “C’est pas trop tôt.”

Que signifie le fait d’être protestant aujourd’hui ?

C’est avant tout un chrétien, quelqu’un qui reçoit par la Bible une parole qui le fait vivre. Cette parole se traduit, sous un mode protestant, par une indépendance de quiconque. La liberté est au cœur de notre croyance. Elle doit être équilibrée par la communauté. Nous sommes tous à égalité. En somme, liberté, égalité et communion fraternelle. En termes d’éthique, chacun fait du mieux qu’il peut. Nous n’allons pas nous positionner contre l’avortement parce qu’il y a toujours le souci du moindre mal. Le bien en tant que tel n’existe pas dans une vie humaine.

Le christianisme perd chaque année des fidèles. Pensez-vous pouvoir attirer un nouveau profil, plus féminin ?

Dans notre Église, 87% des paroisses dans le monde acceptent les femmes
Emmanuelle Seyboldt

En interne, c’est possible. Déjà, nous avons enregistré la venue d’une pasteure hollandaise car son Église aux Pays-Bas ne l’acceptait pas. De manière générale, ça interpelle, même en dehors du monde religieux. Nous sommes vus comme des gens archaïques et là, une femme présidente, c’est une belle preuve d’ouverture.

Vous avez un mandat de quatre ans. Quel est votre objectif principal ?

Le débat, proposer un lieu de parole. Nous ne devons pas rester entre nous. Il doit y avoir une perpétuelle interaction avec la société. Il faut renforcer ce va-et-vient de la parole. Ça passe par une meilleure communication, mieux travailler en réseau, s’approprier les réseaux sociaux. Nous sommes encore à l’âge du bronze dans ce domaine.

Vous voulez communiquer intensément avec la société. L’omniprésence du débat sur la laïcité et les religions apparaît comme un obstacle. Quelle est votre conception de la laïcité ?

Elle devrait être moins rigide. Il y a toujours un soupçon envers les croyants. Le discours majoritaire dans les médias est assez méprisant. Dans leur bouche, croire en Dieu signifie être ringard, dans le passé, presque ridicule. Il y a un côté “vous croyez encore en ces conneries ?”. Dans la vie de tous les jours, je n’ai pas à me plaindre. C’est surtout sur certaines émissions, dans des conférences ou des débats. Je me sens totalement en accord avec les associations pour les droits de l’homme, contre le racisme et les discriminations mais je pense qu’il faudrait y intégrer la question de la discrimination religieuse. Je ne suis pas agressive, je n’impose ma foi à personne. Je veux juste avoir le droit de vivre ma foi sereinement. Sans avoir ce discours permanent qui sous-entend que le monde se porterait mieux sans religion. L’argument “sans les religions, il n’y aurait pas de guerre” ne tient pas. L’humanité trouverait un autre prétexte, croyez-moi.

Par Benjamin Badache