
Malgré cette épaisse brume chaude et poussiéreuse qui semble étouffer la ville, on y voit parfaitement clair. Droit devant, les fenêtres aux reflets lumineux des buildings de Downtown. À l’ouest, les longues avenues à palmiers d’Hollywood, qui semblent plonger dans l’océan voisin. À l’est, la jungle touffue et vallonnée d’Echo Park. Et puis aussi, tout le reste de cet immense damier qu’est la ville de Los Angeles. Depuis sa terrasse haut perchée, on dirait que le monde tout entier s’offre à lui. Mais lui s’en fiche. Comme il se fiche de cette crotte de chien torréfiée par le soleil qui gît à ses pieds. Pour lui, rien d’autre ne paraît compter que ce téléphone qu’il fixe de ses yeux écarquillés et dans lequel il éructe, comme s’il s’agissait d’un haut-parleur. “C’est une conspiration! Le plus gros scandale qu’ait jamais connu Wall Street! Ils m’ont pressé et ils m’ont viré! On m’a volé mon entreprise!” À l’autre bout du fil, la voix a à peine le temps de rebondir qu’il postillonne à nouveau: “Ils ont cassé ma boîte, ils ont brûlé mes actions!” Sa voix prend soudainement du muscle: “Jamais! Jamais!” Et puis, le ton tombe de plusieurs octaves, jusqu’à se faire larmoyant: “Jamais je n’aurais imaginé me retrouver dans cette position… J’étais trop bon dans ce que je faisais.”