Reportage

Ceux du barrage

La dictature de Bachar, la terreur de Daech, la guerre, la libération, les luttes actuelles… Depuis leur position unique, surplombant un immense lac artificiel, les employés du barrage de Tabqa, en Syrie, qui alimente en électricité tout le pays, ont vu l'histoire s'écrire sous leurs yeux, sans jamais quitter leur poste. Car après tout, disent-ils, “les gouvernements auront toujours besoin de nous”.
  • Par Iris Lambert, à Tabqa / Photos: Charles Thiéfaine
  • 11 min.
  • Reportage
Un barrage avec plusieurs vannes est visible, entouré d'un paysage sec et herbeux. L'eau est calme, reflétant partiellement le barrage. Le ciel est dégagé et bleu.
Photos : Charles Thiéfaine

“Si nous appuyons ici, hop! plus de lumière à Alep!” L’œil facétieux, Ahmed al-Haybu suspend son doigt au-dessus d’un bouton en plastique rouge, fiché au centre d’un immense tableau de bord schématisant les réseaux d’approvisionnement en électricité de la Syrie. Entièrement marqueté de bois clair, le panneau, vertical, couvre un mur haut de quatre mètres, encadré de lourds rideaux de velours rouge. Face à lui, une console s’étend sur toute la largeur de la salle, hérissée de mille voyants trahissant l’activité du pays. Ahmed esquisse un sourire de conspirateur. “Nous avons appelé cette pièce ‘la salle de contrôle’, chuchote-t-il. Seules les personnes habilitées peuvent venir ici. Chaque geste peut avoir de graves conséquences.” Derrière lui, des vitres mouchetées par la poussière laissent entrevoir un paysage stupéfiant: près de 60 mètres en contrebas, une mer artificielle, claire et scintillante, s’étale à perte de vue jusqu’à se confondre avec le ciel. C’est le lac al-Assad, nommé d’après le dictateur, alimenté par l’Euphrate et retenu par le barrage de la Révolution, un colosse d’ingénierie relié à Tabqa, ville-frontière au cœur du pays où viennent buter, à l’ouest, les territoires tenus par le nouveau gouvernement révolutionnaire, et à l’est, ceux sous la houlette de l’administration pro-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS). Perché dans la plus haute salle de l’édifice, Ahmed raconte: “Nous, les travailleurs du barrage, nous avons tout vu, tout vécu.” C’est on ne peut plus vrai: de la dictature à la libération, en passant par les heures noires de la guerre civile et celles du califat de l’État islamique, les employés de ce lieu étrange et stratégique incarnent le roman d’un pays et d’un peuple plusieurs fois frappés par la tragédie.

Society #253

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