
À quoi reconnaît-on qu’une idée est en avance sur son temps? Peut-être aux réactions qu’elle suscite, ou à l’incompréhension qu’elle déclenche. Mi-avril 2010, en plein débat sur la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy et à deux ans de l’élection présidentielle, Martine Aubry, alors première secrétaire du Parti socialiste, tente une percée dans le débat public avec une interview donnée à Mediapart et une tribune signée dans Le Monde. Elle en profite pour introduire une notion anglo-saxonne méconnue, le care -traduit par “(une société du) soin”–, qu’elle aimerait utiliser pour renouveler les fondations doctrinales de son parti. Tentative de définition dans Mediapart le 14 avril: “La société prend soin de vous, mais vous devez aussi prendre soin des autres et de la société.” Dans Le Monde, le 15: “N’oublions jamais qu’aucune allocation ne remplace les chaînes de soin, les solidarités familiales et amicales, l’attention du voisinage.” Les réactions ne se font pas attendre. Jean-Michel Aphatie, alors chroniqueur au Grand Journal, décerne sur son blog “un prix de nunucherie” à un autre article du Monde qui interroge sérieusement la notion. Les jeunes loups du moment hurlent avec lui. Nathalie Kosciusko-Morizet explique y voir “le retour à un discours de l’assistanat social et des bons sentiments”, quand Manuel Valls, inspiré, parle d’“erreur profonde”.