
Roberto Bolaño est mort. Ricardo Piglia est mort. Même Mario Vargas Llosa a fini par mourir. Il y a des places à prendre dans la littérature sud-américaine. Même pour la Bolivie? Même pour la Bolivie, répond Gabriel Mamani Magne avec Séoul, São Paulo, un premier roman (après un livre de littérature jeunesse, qu’il préfère aujourd’hui “ne pas prendre en compte”) écrit il y a déjà six ans et aujourd’hui traduit en français par les éditions Métailié. C’est une bonne nouvelle. Mamani Magne, fils de comptables, y raconte l’histoire de Tayson, né de parents boliviens mais élevé au Brésil, qui se retrouve à effectuer son service militaire sur les hauteurs d’El Alto, à 4 000 mètres d’altitude, et de son cousin, le narrateur, qui aimerait gagner de l’argent, quitter l’école, avoir une copine et surtout, bien sûr, perdre sa virginité. Un roman d’apprentissage, donc. Il en a tous les ingrédients –le désir adolescent, les envies d’ailleurs, les doutes identitaires–, qui donnent parfois de très bons livres, mais aussi de très mauvais. Qu’est-ce qui fait la différence? L’humour, peut-être, ici omniprésent ; la capacité à naviguer entre culture élitiste et culture populaire, à s’appuyer sur l’une pour expliciter l’autre, sans jamais les hiérarchiser, une qualité qui aboutit généralement en dessous du canal de Panama par des comparaisons entre Kant et des joueurs de foot, et qui conduit Gabriel Mamani Magne à écrire, pour tenter de retranscrire l’expression déconcertante qui traverse parfois le visage de Tayson, que celui-ci est à la fois “joyeux et triste, comme ce numéro 9 qui est le meilleur buteur du championnat mais n’a personne à qui dédier ses buts” ; des choses à dire, enfin, d’autant qu’elles n’ont jusqu’ici guère été entendues. En tout cas pas comme elles le devraient. “Mon pays ne fait pas beaucoup de bruit, surtout en Europe, et c’est dommage parce que je crois que se perd ainsi un regard sur le monde très particulier, le regard bolivien, explique-t-il par téléphone. C’est un regard qui mixe l’ancien et le moderne, et qui est celui d’un pays où le discours indigène est partout –à la tête de l’État, dans la rue, dans les danses–, au contraire d’autres pays sud-américains où il est caché, ou vendu comme porte-clé souvenir pour les touristes.”