
C’est possiblement l’une des phrases les plus terrifiantes jamais prononcées de ce côté-ci de l’humanité. “Quand j’étais gamin, j’étais comme tout le monde.” Terrifiante parce que dite par Jeffrey Dahmer, le type qui, entre 1978 et 1991, viola, assassina, démembra et mangea 17 jeunes hommes dans les recoins du Midwest, aux États-Unis, avant d’être tué à son tour en 1994, battu à mort en prison par un autre détenu avec une barre d’haltères. Les tueurs en série auraient donc d’abord été des gamins comme les autres? Et si oui, alors: qu’est-ce qui a foiré? Et quand? Et pourquoi? Ces questions, sur lesquelles viennent depuis toujours buter policiers, juges, chercheurs, journalistes, cinéastes, artistes, écrivains, psychologues, l’auteur de bande dessinée Derf Backderf s’y est frotté lui aussi. C’était en 2012, plusieurs années après les crimes de Dahmer et une décennie avant que Netflix ne les transforme en bonbon de pop culture malsaine. Il a appelé cela Mon ami Dahmer. “Dahmer”, pour situer le sujet. “Ami”, pour lui redonner une humanité. Et “Mon”, pour dire que lui aussi a tenu, à sa modeste mesure, un rôle dans l’histoire. Derf Backderf était au collège et au lycée avec Jeffrey Dahmer. Cela se passait à Richfield, petite localité de l’Ohio, au début des années 1970: des jeans pattes d’eph’ et des cheveux longs, des voitures basses et des canettes de bière, des amplis à lampes et de l’ennui. Dans ce tableau dessiné par Backderf, Dahmer n’est, au départ, qu’un jeune gars un peu plus étrange et solitaire que la moyenne. Puis, à mesure que les années avancent, il devient plus que ça: une étrangeté. Ses camarades de classe le moquent, l’asticotent, le harcèlent. Cela n’alerte pas ses professeurs, ni la direction du lycée, ni les services sociaux, qui ne voient rien. Ses parents, des gens bien sous tous rapports, sont trop occupés à divorcer pour le regarder eux aussi. Et peu à peu, Jeffrey Dahmer s’enfonce dans l’abîme. Il devient le freak officiel du coin. Il se met à boire. Il est une blague, puis une blague glaçante, puis rien d’autre que la banquise elle-même.