
Difficile de se décider sur ce qu’il y a de plus fort dans Un bref instant de splendeur, le premier roman d’Ocean Vuong, sorti aux États-Unis l’an passé et qui sera publié en France dans deux mois. Est-ce l’hommage rendu à toutes ces femmes vietnamiennes émigrées aux États-Unis, qui passent leur vie dans les salons de manucure à se courber devant les pieds des femmes blanches avant de se retirer, épuisées, pour manger leur repas dans des arrière-salles de la taille des dressings de leurs clientes? Est-ce le portrait d’une jeunesse américaine sacrifiée sur l’autel de la rentabilité, soignée aux opiacés avant d’en devenir dépendante, puis morte par overdose? La lettre d’amour écrite par un fils à sa mère, capable de lui balancer ses Lego au visage avant de l’emmener au McDonald’s pour se rattraper? Est-ce la description du désir qui peut rapprocher un adolescent d’origine vietnamienne complètement paumé d’un adolescent white trash encore plus paumé? Ou est-ce tout simplement la réflexion menée sur ce que veut dire être un Américain, et être un homme, dans un pays qui voue un culte à la violence? Toujours est-il que le fait est là: avec Un bref instant de splendeur, écrit dans une langue qui mêle poésie, prose et considérations biographiques sur, par exemple, Tiger Woods – fils d’un soldat américain ayant combattu au Vietnam, Ocean Vuong dresse un monument à la fameuse Amérique des marges, celle qui, longtemps, a été empêchée de raconter sa version de l’histoire: les ouvriers précaires, les sans-papiers, les drogués, les homosexuels et, donc, la communauté américano-vietnamienne, dont personne ne parle jamais et qui pèse pourtant un peu plus d’1,5 million de personnes aux États-Unis. Un bref instant de splendeur est un roman, mais un premier roman, donc un roman autobiographique: Ocean Vuong est né à Hô Chi Minh-Ville avant d’arriver aux États-Unis à l’âge de 2 ans, où il a été élevé dans la pauvreté par sa mère et sa grand-mère, et tout ce qu’il raconte dans son livre lui est plus ou moins arrivé. Désormais âgé de 32 ans, il est, comme l’atteste l’accueil éblouissant fait à son texte aux États-Unis, l’une des voix les plus prometteuses d’Amérique, et il n’en est visiblement qu’au début: “Mon but, disait-il au New York Times l’an passé, est d’offrir un nouveau regard sur ce qu’est l’identité américaine.” Vaste programme.