
Des questions sans réponses forment des mystères, les mystères déclenchent des quêtes, les quêtes deviennent une traque. Des dizaines d’anciens hauts fonctionnaires interrogés dans le cadre de cette enquête ont essayé de remettre un nom sur la photo de Corinne Berthier, sans succès. Patrick Stefanini, personnage de l’ombre de la droite, ancien directeur de campagne de François Fillon notamment, s’en est emparé à son tour et le message lui a été transmis qu’un homme, et un seul, pouvait l’aider: le haut fonctionnaire hypermnésique Jean-Marc Sauvé, ancien directeur des Libertés publiques et des Affaires juridiques, qui n’aurait pas oublié le nom d’une seule de ses secrétaires. C’est lui et sa mémoire phénoménale qui ont déterré un nom, une nouvelle piste: Corinne Bertrand-Depoids.
Quelques jours plus tard, une femme s’avance dans un café d’Auxerre. Elle porte un chemisier à fleurs, une polaire blanche sur les épaules, un sourire crispé sur le visage. Le même regard bleu que sur la photo, les cheveux clairs désormais ramassés en queue de cheval. C’est elle. Corinne Berthier. “Comment m’avez-vous retrouvée?” déclenche-t-elle, surprise de sortir subitement de 40 ans d’oubli, mais comme soulagée de raconter son histoire.
Une femme s’avance dans un café d’Auxerre. Le même regard bleu que sur la photo. C’est elle. Corinne Berthier. “Comment m’avez-vous retrouvée?”
Corinne Bertrand-Depoids travaille aujourd’hui à la direction départementale des territoires de la préfecture de l’Yonne. Elle a pris la pose en 1987 pour faire plaisir à son supérieur hiérarchique, Dominique Latournerie, prédécesseur de Jean-Marc Sauvé à la direction des Libertés publiques et des Affaires juridiques. Il l’a convoquée dans son bureau un matin, “le regard charmeur” et “avec un très beau sourire”, lui a proposé de se faire photographier, comme une simple suggestion, sans autorité, presque sous la forme d’une invitation galante. “Corinne, on a pensé à vous, vous serez affichée dans toute la France, jusque dans les DOM-TOM.” Elle accepte aussitôt, flattée. Corinne Bertrand-Depoids signe une décharge, ne reçoit ni prime ni avantage. Elle est la seule candidate. Tous les postes de direction sont à l’époque occupés par des hommes, et parmi les secrétaires, elle est la plus jeune. Jamais elle n’osera dire qu’elle était la plus jolie, se contentant de préciser qu’elle était “avenante et agréable”.