
À ceux qui se demandent ce que P. Diddy avait pris ce soir-là avant de monter sur scène, il semblerait que ce soit un bain. C’était quelques minutes plus tôt, dans sa loge, plongée dans une lumière fuchsia. P. Diddy, alors 53 ans, voue depuis toujours un culte aux éclairages. Pas de raison d’y déroger alors qu’il s’apprête à recevoir, ce 26 juin 2022, au Microsoft Theater de Los Angeles et en prime time sur MTV, la récompense d’une vie: le Life Achievement Award, offert chaque année par la Black Entertainment Television à un artiste afro-américain pour “l’ensemble d’une carrière et son apport important à l’industrie musicale”. Précédents lauréats: Whitney Houston, Lionel Richie, Prince, James Brown, entre autres. La salle est bondée de ce que l’Amérique noire compte de gens de pouvoir. La star a ameuté en coulisses sa mère, ses six enfants, des proches de tous horizons, ainsi qu’un jeune réalisateur, payé pour filmer les dessous du sacre. Sur les images, on voit P. Diddy interpeller son propre reflet dans le miroir, une bouteille de tequila à la main: “Yo, play-boy, ce shot est pour toi. Tu m’entends, le roi?” On l’entend aussi affirmer: “C’est le moment choisi par Dieu pour me récompenser.” Sur le mur, un écriteau “King of fucking everything”, et des feuilles collées: “Je m’aime” ; “Je suis sans peur” ; “Je suis heureux!!!!!” Ce que le caméraman enregistre ce soir-là sans le savoir, ce sont les derniers instants de calme avant la tempête, car Puff Daddy s’apprête à écrire les premières lignes de la plainte qui va faire basculer sa vie.
Diddy a toujours excellé dans l’art du discours, et sa prise de parole doit être le clou de la soirée. Il pénètre sur scène habillé de noir, un collier en argent autour du cou, une montre à chaque poignet. Pendant neuf minutes, l’artiste parle des rêves déchus de l’Amérique noire, d’espoir, de liberté et de combat. Il cite Martin Luther King, et lorsqu’il hurle en écartant ses bras, les yeux fermés, le rappeur se transforme en pasteur évangélique. Dieu, évidemment, ouvre le discours. Ensuite, dans l’ordre: sa mère, son mentor, Andre Harrell (mort), son ex-femme (morte), ses enfants, deux amis (morts), son université (qu’il n’a pas finie). Et puis, la faute à l’euphorie, ou à l’alcool, Diddy s’écarte du texte, improvise. “Je dois remercier tout particulièrement ceux qui ont été à mes côtés, dit-il. Et… Yeah, Cassie, qui m’a soutenu dans les moments sombres.” Il lève alors les mains, son index et son pouce se tendent en “L” et, les pupilles plantées dans la caméra, Puff Daddy s’adresse à elle: “Love”, dit-il.
I.
CASSIE CONTRE DIDDY
C’est cette scène, donc, que Casandra Ventura, dite “Cassie”, racontera dans le détail dès la première des 35 pages de la plainte déposée auprès du tribunal fédéral de première instance des États-Unis pour le district sud de New York, le 16 novembre 2023. Devant sa télé le soir de la cérémonie des BET Awards, elle s’est sentie humiliée en mondovision. Le document précise: “La vérité, pourtant, est que Cassie – Mme Casandra Ventura – a été tirée vers le bas par M. Combs, et a enduré plus d’une décennie de son comportement violent et de ses exigences dérangées. Pour Mme Ventura, les ‘moments sombres’ ont été ceux qu’elle a passés piégée par M. Combs dans un cycle d’abus, de violence et de trafic sexuel.”