Enquête

L'homme qui tombe

La photo a été publiée dans le monde entier, avant que l'Amérique décide qu'elle était trop insoutenable pour être montrée. Elle représente un homme qui tombe de la tour nord du World Trade Center, le 11 septembre 2001 au matin. Un homme qui n'a jamais eu de nom, et dont la recherche de l'identité fait ressortir toutes les névroses créées aux États-Unis par l'attentat le plus meurtrier de l'histoire du pays.
  • Par Tom Junod - Photos: Richard Drew (Sipa/AP)
  • 43 min.
  • Enquête
Illustration pour L’homme qui tombe
Photos: Richard Drew (SIPA/AP)

Sur l’image, il quitte la terre comme une flèche. Bien qu’il n’ait pas choisi son destin, il semble l’avoir accepté dans les derniers instants de sa vie. S’il ne tombait pas, il pourrait très bien être en train de voler. Il paraît détendu, fonçant dans les airs. Pas intimidé par l’attraction divine de la gravité ou par ce qui l’attend. Ses bras sont tendus le long du corps, légèrement écartés. Sa jambe gauche est pliée au genou, presque nonchalamment. Sa chemise blanche, ou sa veste, ou sa blouse, ondule dans les airs, dégagée de son pantalon noir. Ses chaussures noires montantes sont encore à ses pieds. Sur tous les autres clichés, les personnes qui ont sauté semblent se débattre contre quelque chose de trop grand pour elles. Elles sont rendues insignifiantes par les tours en toile de fond, dressées comme des colosses, et puis par l’événement lui-même. Certains sont torse nu ; leurs chaussures s’arrachent de leurs pieds dans l’agitation de la chute, ils ont l’air désorientés, comme s’ils essayaient de descendre à la nage le flanc d’une montagne. L’homme sur la photo, en revanche, est parfaitement vertical, et donc en accord avec les lignes des bâtiments derrière lui. Il les divise en deux parties égales: à sa gauche est la tour nord, à sa droite est la tour sud. Bien qu’inconscient de l’équilibre géométrique qu’il a accompli, il est l’élément essentiel de la création d’un nouveau drapeau, une bannière entièrement composée de barres d’acier qui brillent au soleil. Certains ont vu dans cette image du stoïcisme, un symbole de résignation ; d’autres y ont lu quelque chose de dissonant et donc de terrible: la liberté. Et de fait, la posture de l’homme a quelque chose de presque rebelle, comme si, une fois confronté à l’inéluctabilité de la mort, il avait décidé d’en découdre, comme s’il était un missile, une lance décidée à atteindre sa propre fin. Il se trouve, à 9 heures 41 minutes et 15 secondes -au moment où la photo est prise–, à la merci de la physique pure, accélérant à dix mètres par seconde carrée. Il atteindra bientôt plus de 240 kilomètres/heure, la tête à l’envers. Sur la photo, il est figé ; dans sa vie hors du cadre, il tombe et continue de tomber jusqu’à disparaître.

11 septembre 2001 - Le jour qui a changé le monde

Illustration pour Jack et le leak géant

Jack et le leak géant

Plusieurs centaines de pages provenant de documents confidentiels de l'armée américaine publiées en ligne, telle est la nouvelle affaire de fuites qui embarrasse le Pentagone depuis quelques semaines. Malaise supplémentaire: le profil du “fuiteur”, Jack Teixeira. À des années-lumière des lanceurs d'alerte politisés façon Edward Snowden ou Chelsea Manning, ce militaire de bas étage semblait surtout vouloir impressionner ses potes. Il risque désormais quinze ans de prison.

Society #164

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