C'est arrivé près de chez vous

La dernière imposture du grand imposteur

Tour à tour lord écossais, producteur hollywoodien ou agent secret britannique, voilà 40 ans qu'Alain Jollois escroque tous ceux qu'il rencontre, se constituant le palmarès d'un des plus grands imposteurs de la planète. Son dernier fait d'armes a eu lieu à Charleroi, l'an dernier. L'occasion de comprendre comment il procède. Et comment il tombe.
  • Par Alexandra Henry, à Charleroi
  • 16 min.
  • Faits divers
Un portrait illustré d'un homme barbu portant une couronne, entouré d'icônes de personnalisation comme des lunettes, des moustaches, et des accessoires tels qu'un kilt, un passeport, et de l'argent. L'interface ressemble à un logiciel de création de personnage.
Illustrations: Jeanne Guerard pour Society

3 octobre 2024

Il fait déjà nuit quand deux hommes sortent de la gare. Sur l’esplanade détrempée, le nom de la ville, en lettres géantes: “CHARLEROI”. Un classique. Enfin, presque. L’incontournable “I LOVE” qui précède généralement le nom des villes touristiques manque à l’appel. Comme si aimer Charleroi relevait de l’anomalie. La drache s’abat sur les dalles en béton du parvis, alors que la Sambre s’agite sous le pont. C’est une nuit d’automne wallonne comme tant d’autres: banale, humide et grise. De l’autre côté de la rivière, l’hôtel Ibis allume ses néons et joue les phares de secours. Les deux hommes s’y engouffrent, traversent le hall étriqué aux lampes LED trop blanches et se réfugient au bar. À peine se sont-ils installés que leurs voix s’élèvent.

Depuis le préau où elle fume sa clope, Solène* ne rate pas une miette de leur conversation. Depuis neuf mois, cette professeure de français à la retraite de 59 ans réside temporairement dans cet hôtel -elle a été expulsée du logement qu’elle occupait avec son ex-compagnon quand celui-ci, qui ne payait plus sa part de loyer, s’est volatilisé avant la visite des huissiers. Le moral dans les chaussettes, elle écume chaque jour les annonces immobilières depuis sa chambre du premier étage, où elle a entassé ses affaires dans des sacs. Elle joint les deux bouts grâce à sa pension de retraite et un héritage parental reçu un an auparavant. Au bar, les deux individus semblent désemparés. Le plus âgé d’entre eux, les traits tirés, apparemment malade, est inquiet. “On ne va tout de même pas dormir dehors! À 65 ans, je ne passerai jamais la nuit!” Solène écrase sa cigarette et se rapproche. Elle interrompt les deux voyageurs et les invite à sa table pour le souper -comme on appelle encore le repas du soir à certains endroits, notamment en Belgique. L’autre membre du duo, forte tête, se présente comme Lord Andrew McGregor, un riche Écossais en voyage diplomatique, qui doit se rendre en Allemagne pour assister aux commémorations des 35 ans de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre suivant.

Society #258

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