

Son profil Facebook suffit à esquisser la singularité du personnage. On y trouve des photos d’arbres coupés ou de tas de bois, sans aucune explication. Une rangée de bûches soigneusement ordonnées ou un chêne abattu, comme éviscéré, dévoilant ses stries, aussi nombreuses que ses années de vie. La coupe vient d’avoir lieu, des éclats d’écorce parsèment le tronc, sur lequel s’accrochent des lambeaux de mousse. Aucun commentaire, pas de like, encore moins d’émoji. Seulement un grand vide, signe d’une perplexité devant ces énigmatiques natures mortes forestières. Ces images sont d’autant plus étonnantes que la plupart du temps, Antoine L., 34 ans, publie des clichés parfaitement ordinaires. Son album photo retrace comme une fresque toutes les étapes marquantes de son existence. On voit Antoine à peine sorti de l’adolescence, à l’orée des années 2010, les joues glabres et un blouson de cuir sur les épaules. Ensuite, les années filent, la carcasse s’épaissit, la barbe gagne du terrain, la calvitie aussi. Une fille apparaît. De simple copine, elle devient sa femme. Ils se marient, voyagent, adoptent un chien, conçoivent un premier enfant, un garçon né en 2018, puis une fille, trois ans plus tard. Eux aussi grandissent en accéléré sur Facebook. Chaque cliché provoque un déferlement de likes, d’émojis cœur, d’effusions et de compliments: “Qu’ils sont beaux”, “Magnifiques”, “Superbe photo”. Le fiston grandit, fête ses 3 ans, se rend chez le coiffeur, enfile le maillot jaune et noir du club de rugby de Chagny, en Saône-et-Loire. Les copains du géniteur likent et chambrent gentiment: “En espérant qu’il dure plus longtemps que le papa” ou “Il est solide, il tient de sa mère”. Les clichés forment ainsi une mosaïque d’une banale normalité. Seules les photos de bois et de forêt détonnent. C’était avant qu’Antoine L. ne devienne dealer.















