
Les premiers jours, Élisa* n’a pas modifié sa routine. Chargée d’études dans un grand institut de sondages parisien, elle a continué de traîner au lit, de courir pour attraper le RER B qui la dépose à cinq minutes de son lieu de travail et de démarrer sa journée systématiquement après 10h. “Je me faisais niquer. Il n’y avait plus aucun bureau disponible. Je me retrouvais dans des salles de réunion avec d’autres naufragés”, peste la trentenaire. C’était en 2016. À l’époque, sa boîte vient d’opérer un grand chambardement. Exit les bureaux à quatre ou cinq personnes ou les petits open spaces avec des postes attitrés pour chaque salarié(e). Place désormais à un immense plateau par étage mélangeant plusieurs équipes, où chacun peut s’installer où il le souhaite. L’entreprise a aussi disséminé de nouveaux espaces de réunion, agrémentés de citations de savants comme Albert Einstein –“La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent.” “On nous avait présenté cette organisation avec un discours très corpo-start-up et un côté vachement horizontal où l’on peut s’asseoir en face de son N+2, bosser ‘en mode projet’. Ce qui est totalement bullshit, poursuit Élisa. En réalité, la direction voulait faire des économies en lâchant la moitié du bâtiment existant. On s’est juste retrouvés plus tassés.” Agacée, la jeune femme change un peu ses habitudes et prend le RER plus tôt pour gagner “la course aux places”. Mieux, elle élabore des stratégies pour s’approprier le même bureau tous les jours. Alors que chaque employé(e) doit théoriquement ranger ses affaires (ordinateur, dossiers, plantes ou effets personnels) dans un casier en partant et laisser chaque poste propre pour un(e) autre collègue le lendemain, Élisa désobéit: “Je garde mon bordel sur la table pour marquer mon territoire.”