Fait divers

"L'affaire Grégory"

Près de 34 ans après les faits et à quelques jours d'intervalle, trois journalistes, Denis Robert, Patricia Tourancheau et Thibaut Solano, sortent un livre sur L'AFFAIRE GRÉGORY. Pour dire quoi? Pour apporter quelle vérité? On les a réunis.
  • Par Joachim Barbier et Vincent Riou
  • 17 min.
  • Faits divers
Illustration pour « L’affaire Grégory »
D'après AFP (X2)

Pourquoi écrire sur l’affaire Grégory en 2018, presque 34 ans après les faits?
Denis Robert: J’avais fait l’effort de décrocher après le procès de Jean-Marie Villemin en 1993. Parce que j’étais sans arrêt sollicité, même dans mon cercle privé. Et c’était toujours la même question: ‘Alors, la mère?’ Même si j’avais une opinion affirmée, je refusais d’en parler. Publiquement, pareil. Pour moi, c’était rajouter de la bave. Le déclenchement, c’est le retour de l’affaire en mai dernier. Quand j’ai vu arriver le procureur en conférence de presse, une caricature de magistrat avec toute cette mise en scène, je me suis dit: ‘Putain, c’est pas possible, ils essayent de monter une usine à gaz pour faire craquer les gens.’ Et après ça, il y a eu le suicide du juge Lambert (le 11 juillet 2017, ndlr), en charge de l’affaire à l’époque. Dans sa lettre posthume, il a écrit d’énormes conneries sur certains témoignages et cette phrase, à la fin, qui dit que la France refuse de voir la vérité avec cet infanticide. Cela signifie qu’il persistait sur la culpabilité de Christine Villemin. Je me suis dit que le mec avait raté sa vie mais aussi sa mort. En plus, c’est quelqu’un que je connaissais bien et pour lequel j’avais plutôt de l’empathie, au début. Avant de me lancer dans le livre, la seule chose que j’ai faite, c’est de téléphoner à Jean-Marie Vuillemin pour l’informer que j’avais en tête de sortir ce bouquin, parce que je ne voulais pas être accusé de faire de l’argent sur cette histoire. Il m’a dit: ‘Vas-y, on est ravis, tu pourras expliquer par où on est passés.’
Thibaut Solano: J’avais fait un livre sur l’affaire des disparus de la gare de Perpignan, qui est jugée en ce moment, et je voulais travailler sur une autre affaire non élucidée. Je suis né en 1980, donc je suis de la même génération que Grégory. Ma connaissance de cette affaire, c’est le fiasco judiciaire et l’hystérie médiatique. Mais je ne connaissais pas l’avant, la période corbeau et tous les secrets de famille. C’est ce que j’ai voulu raconter.
Patricia Tourancheau: À l’été 1985, quand l’affaire éclate, je suis une petite stagiaire qui finit l’IUT de journalisme de Bordeaux. Je n’ai pas d’argent, j’ai emprunté à droite, à gauche et je demande à Libé si je peux gagner un peu plus à côté de mes piges pendant l’été. Ils me proposent de remplacer le gars qui découpe les dépêches de l’AFP, des kilomètres de papier qui s’étalent dans les couloirs du journal, que je me mets donc à distribuer aux différents services. Et à cette période, il y a effectivement beaucoup de dépêches sur l’affaire Grégory. Donc je suis ça depuis Libé, et je suis assez étonnée par certaines réflexions que j’entends sur Christine, la mère de Grégory. ‘Elle est géniale, cette mère’, mais dans le sens: ‘Elle cache bien son jeu’, ‘Quel machiavélisme!’ Moi, petite stagiaire, je suis un peu atterrée.
DR: Le portrait de Christine était matraqué tous les jours dans les médias. Si on avait fait un sondage à l’époque, 95% des gens auraient dit qu’elle avait tué son enfant. Alors que l’on sait depuis longtemps que l’accusation contre elle ne repose sur rien. C’est fou qu’autant de personnes intelligentes –‌des graphologues, des éditorialistes, des écrivains– aient pu colporter cette saloperie. Comment une société, un pays, a pu se tromper à ce point.

Society #77

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