
Pendant la crise agricole début 2024, une quarantaine de vos magasins ont été pris pour cible par les agriculteurs. Est-ce que vous comprenez cette colère contre vous? Non, on partageait beaucoup de revendications, mais cette colère a été artificiellement montée.
Artificiellement, c’est-à-dire? La distribution a incontestablement une responsabilité dans les prix, mais la multiplication des revendications est aussi l’expression de rivalités syndicales entre la FNSEA, la Confédération paysanne et la Coordination rurale dans la perspective des élections dans les chambres d’agriculture. On a eu un entrepôt E.Leclerc bloqué par des militants de la FNSEA. Ils m’ont interpellé personnellement et on a eu une longue conversation vidéo. Ça s’est très bien passé. Ensuite, Gabriel Attal est descendu à Toulouse pour rencontrer la Confédération et la Coordination. Sauf que la FNSEA a senti que les deux autres syndicats étaient valorisés. Dans un jeu complice, gouvernement et FNSEA nous ont envoyé les agriculteurs. Les préfets nous ont dit ‘on n’interviendra pas’ et Darmanin répétait: ‘Tant que c’est des dégâts matériels, on n’intervient pas.’ Pour nous, c’était très clair.
Donc vous dites que le gouvernement a laissé la FNSEA vous prendre pour cible délibérément? Oui, c’est comme ça tous les deux, trois ans, depuis 2015.
Mais on ne peut tout de même pas nier qu’il y a un malaise agricole, que des agriculteurs vivent dans la misère, que certains sont poussés au suicide… Oui, il y a plusieurs niveaux de crise: distorsion de concurrence, rémunération, identité, mais le premier acheteur de l’agriculture, c’est l’industrie agroalimentaire. Le deuxième, c’est la restauration. La distribution n’achète pas directement à la ferme ou très peu. On est revendeurs de Danone, Nestlé, Lactalis, Charal, D’Aucy…
Votre ADN, depuis la création du premier E.Leclerc à Landerneau par votre père dans les années 1960, c’est de vendre moins cher. Ce qui vous est reproché, c’est de tirer les prix vers le bas et donc d’étrangler les producteurs, les agriculteurs. Ça fait 40 ans qu’on nous dit ça. À 15 ans, quand j’accompagnais mon père dans les chambres de commerce, j’entendais déjà: ‘Leclerc, tu vends moins cher parce que tu sous-payes tes salariés et que tu vends du bas de gamme.’ Le premier pavé passé par la fenêtre de mes parents, on était tout mômes, c’étaient des paysans de la coopérative de Landerneau. Mon père achetait le lait plus cher aux agriculteurs et le revendait moins cher que les autres commerçants. Ce genre de polémique a été attisé par des concurrents qui ne savaient autrement justifier leurs propres prix.