Entretien

“Je suis dépassée par ma propre vie”

Au cinéma, dans Une Intime Conviction, Marina Foïs est une femme déterminée, happée par un procès qui la dépasse. Au théâtre, dans Les Idoles, elle est Hervé Guibert, auteur culte et malade du sida. Et dans la vie? Réponse dans cette interview.
  • Par Marc Beaugé, Arthur Cerf et Sylvain Gouverneur
  • 26 min.
  • Interview
Une personne aux cheveux blonds et au regard intense porte un pull beige. L'arrière-plan est neutre avec des éléments flous.
Photos: Frankie & Nikki pour Society

Vous venez d’interpréter l’écrivain Hervé Guibert dans la pièce Les Idoles, de Christophe Honoré. Cette pièce est aussi un hommage à Jacques Demy, Bernard-Marie Koltès, Serge Daney, Jean-Luc Lagarce et Cyril Collard, tous morts du sida. Cette scène artistique vous était-elle familière? C’était un peu ma génération. J’ai beaucoup traîné au théâtre Nanterre-Amandiers, à l’époque de Patrice Chéreau, fin des années 1980. Une amie de ma mère tenait la librairie dans le hall, on allait à tous les spectacles. Je me suis formé l’œil grâce à eux, c’étaient vraiment mes idoles. On avait 18, 20 ans ; ces gens-là, c’était la modernité, les docks, New York. Hervé Guibert, je l’ai lu à 20 ans, il décrivait le sort des malades. Moi, j’avais des amis malades autour de moi, alors je lisais ça pour me documenter.

Vous avez grandi dans la peur du sida? À 17 ans, je vivais dans une maison à Toulouse, une sorte de communauté. Plusieurs personnes de ce groupe sont mortes, comme ça. Et un de mes meilleurs amis était un acteur belge. Un jour, alors que je vivais à Paris, il m’appelle: ‘Il m’arrive une tuile, j’ai la toxoplasmose, je suis paralysé. Est ce que tu pourrais m’héberger?’ Il ne pouvait plus rien faire, il mesurait 1,90 mètre, il est venu habiter chez moi, dans mon deux-pièces, rue du Sabot, dans le VIearrondissement -c’était l’appart’ de ma grand-mère. J’ai vécu son agonie. C’était en 1996, on savait comment ça se transmettait. Moi, je n’étais pas pédé, je ne me défonçais pas, je savais que j’étais plus protégée. Mais la peur, elle était concrète. Ce n’est pas normal, à 20 ans, d’enterrer ses amis qui en ont 22. Et puis, c’était la maladie de la honte. Cet ami-là, il n’a jamais prononcé le mot sida ; il était ‘malade’. On traînait dans les jardins de la Pitié avec ses parents, ils me disaient (elle prend un accent belge) : ‘Mais Marina, comment a-t-il pu attraper cette maladie?’ Et moi: ‘Je ne sais pas, oh là là, je n’en ai aucune idée!’ Avoir 20 ans dans les années 1990, dans un milieu comme le mien, plein de pédés, c’était une jeunesse dramatique. On attendait le coup de fil pour savoir qui serait le prochain sur la liste. Quand le nom sortait, il en avait pour deux ans.

Society #99

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