Julia Ducournau

Titanesque

Cinq ans après Grave, la cinéaste Julia Ducournau retourne sur la Croisette avec Titane, une histoire d'amour interlope et impossible, en compétition officielle au festival de Cannes. L'occasion d'échanger avec elle sur l'existentialisme, l'écriture et l'eczéma.
  • Par Brieux Férot
  • 13 min.
  • Interview
Une personne assise, portant une veste en cuir noir, posant devant une façade vitrée.
Photos : Louise Desnos pour Society

Avant de tourner Titane, tu as chopé le Covid-19 en février 2020, ce qui est très tôt dans notre découverte collective et sociale de la maladie. Comment l’as-tu vécu? J’ai eu un Covid léger mais qui a été très, très long. J’étais alitée, avec une très grande fatigue, inédite. Je ne pouvais voir personne. Ça n’a pas été douloureux, j’aime bien être seule, j’ai lu. Quand j’ai réussi à me lever, j’ai peint. J’ai regardé beaucoup de films, comme tout le monde. J’attendais que ça passe, je voyais comment ça évoluait en moi, avec beaucoup de curiosité. J’ai eu le luxe que permettent les formes légères de cette maladie. J’étais plutôt en observation de moi-même, de comment mon corps allait réagir. Ce qui m’a fait bizarre, c’est de réapprendre à voir des gens. Tu dois réactiver tes outils sociétaux. Ça m’a un peu perturbée. Quand tu es enfermée chez toi, que tu ne vois personne, c’est facile d’y rester. Sortir, le soleil, les gens… il y a un truc qui peut être très agressif. J’ai dû me faire un peu violence.

Tu es pourtant quelqu’un qui travaille beaucoup en observant les gens, non? Oui, je passe mon temps à me projeter dans la vie des autres: je regarde quelqu’un, je me demande où il va, d’où il vient, s’il a l’air triste, malheureux, à quoi il pense… Dans le train, mon jeu préféré, c’est de regarder les maisons et me demander ce que je ressentirais si j’habitais là, imaginer la vie que j’aurais. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, je n’ai pas de smartphone, je suis complètement à l’ouest, mais je perdrais cette projection si ce n’étais pas le cas, et je pense que c’est un truc précieux. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les existentialistes: dans la vie, il faut être plusieurs pour être un. D’où mon obsession de la mue, de la mutation… L’idée, c’est qu’il faut muter pour se rapprocher de son essence. Il faut faire cet effort d’empathie, de compassion et de compréhension de la vie de l’autre, essayer au maximum de réfréner le jugement.

Society #160

À lire aussi

Abonnez-vous à Society+ dès 4.90€

Des centaines de docus à streamer.
7 jours gratuits !