Dans la première nouvelle de Sud sauvage, vous écrivez: ‘À 40 ans, j’ai exactement la vie que je rêvais de mener, un grand rien sans mondanité ni commérages, avec une carte postale, quelques lettres, un dîner en ville de temps en temps.’ Vous êtes arrivée là où vous vouliez? Dans cette nouvelle, j’entretiens une confusion entre l’autrice et la narratrice: oui, j’ai 40 ans, je suis professeure d’histoire, j’enseigne à l’université. Tout cela est vrai. Mais pas le reste. Je dirais plutôt: à 40 ans, j’attends encore de vivre la vie que je rêve de mener, quitter la ville pour m’installer à la campagne, passer mon temps à écrire. Je ne peux pas parce que je ne vis pas de l’écriture, je n’ai pas les moyens de mener cette vie d’ermite. Il me manque l’autonomie financière. Le jour, j’enseigne. Et chaque mercredi, j’ai des audiences, je suis juge assesseure au tribunal pour enfants ici, à La Réunion. Le temps, je l’arrache. Comment? En écrivant la nuit. Ça m’a rendue insomniaque. J’ai un sommeil totalement perturbé, mais je l’assume. La nuit, c’est aussi un espace de liberté où, moi qui juge, je ne me sens absolument pas jugée. Je suis une femme, j’ai la peau noire, je ne corresponds pas forcément à ce qu’on attend en littérature, mais je m’en fiche ; le soir, personne ne me voit. Peut-être que ça dénote une certaine dépendance au regard des autres, mais c’est comme ça que je peux m’en affranchir.