
Passé le seuil des dix minutes, le supplice s’est étendu aux bras. La douleur s’est répandue lentement, comme un poison remontant les veines. À sa grande surprise, elle est partie du tendon d’Achille, là où ses jambes croisées agrippent le rondin. Elle a atteint le bassin, puis le torse, a franchi les omoplates, infesté les biceps. Désormais, elle sclérose ses phalanges. Dix minutes seulement ; ses muscles hurlent comme s’il était pendu là depuis des jours. Bientôt, il ne sera plus qu’une crampe humaine, pétrifié par l’une des épreuves les plus dures de Koh-Lanta, celle dite des “cochons pendus” ou des “paresseux”, qui consiste à rester accroché(e) le plus longtemps possible à un tronc d’arbre placé à l’horizontale. Sauf qu’Anthony n’est pas vraiment sur TF1 ni même sur une plage au beau milieu du Pacifique, mais dans son jardin, à Annecy, à 20 centimètres au-dessus du sol. Par terre, la pelouse en plastique est parsemée de copeaux de bambous, reliquats de ses nombreuses tentatives –réussies– visant à faire du feu à partir de cotons démaquillants. Un voisin fume une clope en le regardant depuis son balcon. Anthony continue de s’accrocher, les yeux rivés sur son chrono. Le sang lui monte à la tête. Il ferme les yeux. Dix minutes. Tenir.
Pour son entourage, Anthony est toujours un formidable spectacle. Il peut s’exercer le lundi au tir à l’arc, marcher en équilibre sur un parcours en bois le mardi, s’accrocher à une corde suspendue à un toit le vendredi, et terminer sa semaine en restant debout de longues minutes sur des poteaux de 10×10 centimètres. Exactement comme ceux de la mythique dernière épreuve de Koh-Lanta. Car ce patron d’auto-école de 40 ans ne joue pas: il s’entraîne. Téléspectateur de l’émission depuis sa première édition, en 2001, il s’est décidé il y a six ans à postuler après avoir “fait [s]a vie de famille”. En plus des nombreux courriers envoyés à la société de production Adventure Line (ALP), qui produit l’émission, il a dépensé 500 euros pour réaliser une vidéo de présentation tournée autour du lac d’Annecy, dans laquelle il se définit comme le candidat “empapathique” –mélange de papa et d’empathique. Même sa demande en mariage y est passée: sa compagne lui a dit oui à l’issue d’un dîner spécial Koh-Lanta, dégustation d’yeux de poissons comprise. L’été dernier, le couple et ses trois filles sont partis en vacances près de Béziers pour faire un crochet par le food truck d’un ex-candidat, Teheiura. Un autre soir, Anthony est allé assister au cours de badminton de Clémentine (Koh-Lanta: Cambodge, 2017). Sans compter les stages de survie avec Maxime, le guide d’expédition de la 20e saison ni les séjours au camping décidés à l’improviste pour rejoindre Pascal, finaliste de la saison 15 et du Combat des héros, la cinquième saison “All Stars”, réunissant des anciens participants. C’est simple, dit Anthony: “Il y en a qui idolâtrent Zidane ; moi, c’est Pascal, Javier et Clémentine. C’est comme des membres de la famille.”