
L’hebdomadaire Politis a une annonce à faire. Le 18 mai dernier, à 17h40, il publie sur Twitter la couverture de son numéro à paraître. Et qui va faire son petit bruit: une “enquête sur le système Free” avec au menu “fichage”, “répression syndicale” et “licenciements abusifs” dans les centres d’appels de l’opérateur. Xavier Niel, lui, ne tweete quasiment jamais. La veille, pourtant, à 15h03, il postait sur le même réseau social la vidéo promotionnelle d’une école qui devrait former à partir de novembre prochain 10 000 génies du code informatique dans la Silicon Valley. L’établissement sera, comme sa grande sœur parisienne, l’école 42, entièrement gratuit. Dans un pays où les étudiants s’endettent habituellement sur des années, c’est une petite révolution. Cette succession de “bonne” et “mauvaise” nouvelles n’a rien de nouveau dans le parcours “grand écart” de Xavier Niel. D’un côté, le “patron préféré des Français”, cool, sans cravate, qui se vante d’avoir redonné du pouvoir d’achat en cassant les prix des forfaits téléphone. De l’autre, un entrepreneur ultralibéral, décrit par l’un de ses anciens plus proches associés comme un homme “sans états d’âme” qui “ne tolère que la soumission”. Avant de conseiller aux journalistes s’intéressant au sujet de “rester vigilants”.
Lundi 23 mai, 16h45, au 8e étage du siège social de Free, dans le très chic VIIIe arrondissement de Paris. La 7e fortune de France –ou 10e selon les sources, avec un pactole estimé à près de huit milliards d’euros– a donné rendez-vous dans l’une des salles de réunion de sa société. Mal rasé, lunettes rondes à la mode sur le nez et infroissable chemise blanche sur les épaules, Xavier Niel pose son smartphone dernier cri et lance les hostilités: “On parle de ce que vous voulez, on fait comme vous le sentez.” Trois heures plus tard, il cède la place dans la grande salle de réunion à Rani Assaf, son homme de l’ombre, inventeur de la Freebox, et un collègue, venus s’enquiller le petit sandwich de 20h au calme. Au moment de dire au revoir, Xavier Niel posera une dernière question. “Attendez, mais je crois que je suis actionnaire de Politis, non? Il faut que je vérifie.”
En 2004, le juge Van Ruymbeke, qui vous a mis derrière les barreaux pour une affaire de proxénétisme et de recel d’abus de biens sociaux, vous convoque avant que vous ne sortiez de prison pour vous dire: ‘Je crois que vous êtes un mec génial, mais je vous explique: il y a une ligne jaune. Aujourd’hui, vous êtes passé de l’autre côté. Ce que vous allez faire à l’avenir, c’est mordre cette ligne jaune, beaucoup, mais ne passez plus jamais de l’autre côté. Ça ne va pas changer grand-chose pour vous, mais ça va changer beaucoup pour notre pays.’ Est-ce que vous mordez encore la ligne jaune aujourd’hui? Je ne la dépasse plus, en tout cas. Le truc, c’est de se dire: ‘Est-ce qu’on peut faire la même chose sans se griller, sans dépasser cette ligne?’ Quand j’ai commencé à avoir du succès, très jeune, la ligne jaune me paraissait quelque chose qui n’avait pas de raison d’exister. Et puis un jour, vous vous faites attraper sur des choses très marginales et vous vous dites: ‘Je me suis fait gauler sur ce machin-là, et même si je ne me suis pas fait attraper sur plein d’autres choses, peut-être qu’il faut arrêter de déconner…’ Quand je suis sorti du bureau de Renaud Van Ruymbeke, j’étais un autre homme. Pour certains, j’ai eu un syndrome de Stockholm, parce que je dis souvent que ce type, qui m’a mis en prison, est fantastique… C’était une discussion qui allait au-delà d’un échange entre un justiciable et un juge. À la fin de l’instruction, il m’a dit: ‘Si je n’avais que des dossiers comme vous, je ne servirais quand même pas à grand-chose.’ Finalement, c’était un petit truc, une petite affaire à 250 000 euros –et à l’époque, j’avais déjà beaucoup d’argent.