Reportage

Le pays où le karaoké tue

On appelle ça les “My Way killings”. Ces dernières années, une dizaine de chanteurs amateurs se sont fait assassiner aux Philippines micro en main. Leur crime? Avoir maltraité la chanson de Frank Sinatra dans un pays qui ne rigole pas avec ça. Et qui boit beaucoup.
  • Par Pierre Boisson
  • 18 min.
  • Reportage
Une scène de karaoké avec plusieurs personnes, principalement des femmes, dans un environnement éclairé par des lumières colorées. Une femme chante au microphone tandis que d'autres sont debout autour d'elle.
Photos: Jes Aznar pour society

L’histoire est celle de deux hommes face à face, l’un qui tient un revolver, l’autre un micro. Fin d’une soirée de mai 2007 au Jullives, un bar perdu de San Mateo, dans la grande banlieue de Manille. L’homme au micro, Romy Baligula, est sur place depuis quelques heures, venu préparer le week-end qui arrive avec la recette de toujours: de l’alcool, des femmes et une machine à karaoké. A déjà coulé beaucoup de San Miguel, la bière nationale, et sans doute de l’alcool plus fort aussi. Baligula est saoul. Peu avant la fermeture, ce Philippin de 29 ans se porte volontaire pour chanter My Way de Frank Sinatra, l’un des titres les plus populaires dans les karaokés de tout le pays. Il chante faux, et il chante fort. À l’intérieur du Jullives, le numéro dérange un spectateur plus que les autres: Robilito Ortega. C’est l’homme au revolver. Chargé de la sécurité du lieu, âgé de 43 ans, Ortega a passé une partie de la soirée à boire avec Baligula et ses amis, suffisamment pour les appeler par leur prénom, mais pas assez pour pardonner une fausse note. Il demande une première fois à l’artiste de quitter la scène. Refus. “I’ve lived a life that’s full / I’ve traveled each and ev’ry highway…”, poursuit Baligula. Il n’y a pas de seconde sommation: Robilito Ortega dégaine le 38 millimètres qu’il porte à la ceinture et tire en pleine poitrine. Baligula tombe raide mort, micro à la main, le corps ensanglanté éclairé par les reflets d’une télévision où les paroles continuent de défiler. “And more, much more than this, I did it my way…”

“Ils s’étranglent avec le microphone”

Le meurtre de Romy Baligula par Robilito Ortega n’est pas un cas isolé. Au cours de la dernière décennie aux Philippines, on estime qu’une dizaine de chanteurs amateurs se sont ainsi fait refroidir en pleine reprise du My Way de Sinatra. C’est ce que la police nationale philippine catégorise comme les “My Way killings”. Dans son bureau qui jouxte la mairie et fait face à l’église de San Mateo, l’agent Wilmer reçoit en consultant ses dossiers. Tout paraît suer autour de lui: les murs, les chaises en plastique blanc devenu jaune, la statue de la vierge posée là, le sol, les détenus… “Les crimes dans les karaokés, il y en a tellement que je ne peux même pas les compter sur les doigts de la main, dit-il, visiblement fatigué. Un exemple d’un meurtre sur lequel j’ai travaillé: la victime était un homme que sa maîtresse devait rejoindre mais le mari de celle-ci était dans le bar. Il avait le téléphone de sa femme, il a appelé, et c’est le portable du chanteur qui a sonné. Le mari a foncé sur scène et a poignardé le mec. Il était en train de chanter My Way.” Les habitants de San Mateo résument le phénomène ainsi: ici, plus qu’avec Sinatra, on ne déconne pas avec le karaoké. “C’est très important, ça fait partie de la vie de tous les Philippins, introduit Joyce, une des principales loueuses de machines à karaoké du coin. Dans certains endroits, il est interdit de chanter après minuit, mais pas à San Mateo. Ici, on chante jour et nuit.”

“Les crimes dans les karaokés, je ne peux même pas les compter sur les doigts de la main”

L’agent Wilmer, de la police philippine

Campée sur une chaise en plastique au fond d’une étroite ruelle, Joyce est âgée pour l’état civil, mais son visage et les pas de danse qu’elle esquisse disent autre chose: elle aime encore faire la fête. “Je ne sais pas si je vais chanter ce soir, mais c’est bien possible que je finisse par danser sur cette table.” Son petit-fils, lui, a pris de l’avance. Il est à peine 14h et Conrad commence à remplir la glacière. Smirnoff Ice, Brandy Emperador. “C’est mes fiançailles, sourit-il. Rien de spécial, juste la même chose que d’habitude: danser, boire, chanter.” Une routine dont les yeux vitreux de Conrad laissent penser qu’elle est régulière et qui explique, selon Joyce, les débordements sur le hit de Frank Sinatra, et sur les autres. “L’alcool n’a pas de frontière, soutient la vieille femme. Parfois, on nous rend les machines dans un sale état, ils s’étranglent avec le microphone, cassent les boutons. Et évidemment, comme ils sont tous bourrés, ils ne se rappellent même plus qui a fait quoi. Alors, c’est clair que si tu chantes faux Sinatra et que tous les autres sont dans le même état que toi, il va t’arriver des embrouilles. Ici, à San Mateo, tout le monde sait qu’il vaut mieux ne pas chanter My Way. Moi en tout cas, je ne m’y risquerais pas.”

Une personne se regarde dans un miroir, ajustant sa coiffure. La scène est éclairée par des lumières colorées qui se reflètent sur elle et dans le miroir.
Mama Barbie se recoiffe.

Society #1

Illustration pour Come to (Sugar) Daddy
Photos: Annie Tritt pour Society

Come to (Sugar) Daddy

Proxénète ou simple businessman? Brandon Wade est à la tête du site de rencontres le plus scandaleux du moment. Convaincu que le moyen le plus sûr de séduire est encore d’en avoir dans le portefeuille, il a créé en 2006 Seeking Arrangement, un site mettant en relation des hommes fortunés (sugar daddies) et des femmes démunies et souvent beaucoup plus jeunes (sugar babies). Ils sont aujourd’hui plus de deux millions à s’adonner à ces petits arrangements entre “amis”. Et Brandon a, enfin, une vie sexuelle épanouie.
Un téléphone affiche une application ressemblant à Tinder, avec deux flux sortant de l'écran : à gauche, une substance verte et visqueuse, et à droite, une multitude de cœurs roses.
Illustration: Kelsey Dake

Tinder Délice

Success story? Phénomène de société? Sitcom? Ou tout cela à la fois? Comme il y a eu Facebook, il y a désormais Tinder. Une petite start-up californienne fondée par de jeunes nerds ambitieux qui se targue d’avoir changé le jeu de la séduction au niveau mondial, et qui pèserait plusieurs milliards de dollars. Mais qui, comme toute saga, comporte aussi sa part d’ombre: cadavres dans le placard, guerres d’ego, couples qui se brisent. Enquête.
Illustration pour Business classe
Karwai Tang/WireImage

Business classe

C’était écrit. Raillée pour ses piètres talents de chanteuse, moquée pour ses extravagances vestimentaires, cantonnée dans un rôle de femme bafouée et de mère de famille nombreuse, Victoria Beckham devait finir en desperate housewife sous Tranxène. Mais elle a refusé ce rôle-là. En quelques années, l’Anglaise a monté une marque de mode qui cartonne. Elle a même été élue entrepreneur de l’année outre-Manche en 2014. La revanche est un plat qui se mange cold.
Une main tient une allumette allumée, et la fumée qui s'en échappe forme le visage d'une personne.
Illustration: Charlotte Delarue pour Society

L’art et le pyromane

En entrant dans une maison où il est venu voler de la viande pour nourrir sa famille, un homme se blesse. De peur que son sang ne révèle son ADN, il décide de mettre le feu. Manque de chance, il y a, dans cette demeure, un Braque et un Picasso, qui partent en fumée. L’homme écope de cinq ans de prison. Voilà comment l’histoire est contée en ce début d’année. C’était évidemment un peu plus compliqué… Enquête.
Illustration pour “Cela n’a pas besoin d’être propre”

“Cela n’a pas besoin d’être propre”

Incluses dans le dossier judiciaire, les conversations entre Dread Pirate Roberts et le “membre des Hell’s Angels” Redandwhite, retrouvées sur le PC de Ross Ulbricht, oscillent entre la négociation commerciale, le tutoriel d’utilisation de Tor et d’interminables palabres sur la façon de traiter les gêneurs. Dans cet extrait, DPR et R&W discutent du sort de FriendlyChemist, fournisseur d’un dealer de Silk Road qui fait chanter Ross et menace l’anonymat de milliers d’utilisateurs du site.

À lire aussi

Abonnez-vous à Society+ dès 4.90€

Des centaines de docus à streamer.
7 jours gratuits !