Entretien

Le tour de Franzen

Jonathan Franzen est de retour. Avec une collection d'essais et, bientôt, une série de trois romans. Ses livres précédents (Les Corrections, Freedom), dans lesquels il a écrit des lignes définitives sur les questionnements et les angoisses intérieures de la classe moyenne blanche américaine, l'ont imposé comme l'un des très grands romanciers de son époque. Ses essais, eux, traduisent une vision du monde éthique et écologique, mais ont systématiquement déclenché de violentes polémiques. Peut-être bien parce qu'il est quelqu'un “d'affreux”, dit-il. Ou parce qu'il regarde là où il est douloureux de regarder?
  • PAR STÉPHANE RÉGY
  • 32 min.
  • Interview
Illustration pour Le tour de Franzen
Jason Henry pour Society

En 2004, vous écriviez que la fiction était votre ‘religion’. Mais vous sortez aujourd’hui une collection d’essais et quand on regarde votre œuvre, on s’aperçoit que vous avez désormais écrit autant de livres de non-fiction que de fiction. C’est une statistique qui vous étonne? La réponse rapide serait de dire oui. Parce que j’ai démarré ma carrière d’écrivain avec la conviction que le roman était la seule forme qui importait et que le fait de parler à la première personne en tant qu’auteur était une trahison envers le roman. Mes modèles, à l’époque, étaient Don DeLillo, Thomas Pynchon, William Gaddis, les grands romanciers masculins d’après-guerre. Ils accordaient très peu d’interviews et, encore plus important, n’écrivaient jamais d’essais. L’idée maîtresse était que l’œuvre devait parler pour elle-même et que tout point de vue personnel l’affaiblirait automatiquement. J’ai cru à ça jusqu’au milieu des années 1990, et j’ai changé d’avis tout simplement parce qu’à un moment donné, j’ai eu besoin d’argent, et j’ai commencé à écrire des articles de journalisme pour le New Yorker. Là-bas, mon rédacteur en chef m’a vite suggéré de plutôt écrire des articles d’opinion. C’était bien payé et il se trouve que j’avais beaucoup d’opinions, alors j’ai dit oui. Et en le faisant, j’ai réalisé que mes premiers romans (La 27e Ville et Phénomènes naturels, ndlr) souffraient justement du fait que j’avais tenté de mettre mes idées dedans, et que ma fiction serait sans doute meilleure si je me concentrais sur les personnages et l’histoire. D’une certaine manière, écrire de la non-fiction m’a donc libéré en tant que romancier.

Society #139

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