
Votre dernier livre, Dans la ville en feu, s’ouvre sur les émeutes de Los Angeles de 1992. Leur impact continue à se faire sentir? Les émeutes ont explosé parce que les gens n’avaient aucune perspective. Ils savaient que leurs enfants n’auraient pas une meilleure vie que la leur, qu’ils ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leurs familles. C’est là que la frustration commence. Et que les émeutes explosent. Il n’y a pas que des Noirs qui ont participé aux émeutes, il y avait des Latinos, des Blancs, tout le monde. C’est le passage à tabac de Rodney King et l’acquittement des policiers au procès qui ont fait flamber la ville. Mais ce n’était que l’allumette ; le petit bois était économique. Et si tu regardes Los Angeles aujourd’hui, il y a toujours beaucoup de chômage, des gens qui perdent leur maison, des banques qui s’en saisissent. Une épidémie. Il ne manque que l’étincelle, mais elle peut venir de n’importe où, n’importe quand. Comme à Ferguson.
Plus de 20 ans après Rodney King, après avoir élu Obama, les États-Unis sont-ils toujours un pays raciste? Les questions raciales n’ont pas été résolues. En 1992, l’affaire Rodney King a dégénéré parce que la vidéo du passage à tabac montrait la manière dont notre police se comportait en vrai. Ça nous a ouvert les yeux. Malheureusement, il n’y a pas eu de vidéo à Ferguson. Et les circonstances de la fusillade de Ferguson semblent se produire assez régulièrement, plusieurs fois par an, à New York, à Los Angeles, partout. Y a-t-il eu suffisamment de changements pour que ces problèmes cessent? Non. Il y a toujours des blocks de maisons où les gens n’ont pas de boulot et ne peuvent pas en trouver, que ce soit à cause du racisme ou du manque d’éducation.
En 1992, pendant les émeutes, vous étiez journaliste pour le Los Angeles Times. Qu’avez-vous vu à l’époque? On était environ 90 reporters, envoyés partout dans la ville, en attendant le verdict. Moi, j’étais assigné sur le lieu du tabassage de Rodney King, parce qu’on pensait que c’était ici que les gens se rassembleraient pour célébrer le verdict. Sauf que les policiers ont été acquittés. Les gens ont d’abord été choqués. Et puis la nuit est tombée. C’est quand il fait sombre que les gens se mettent en colère. La foule a marché vers le commissariat. Des types lançaient des pierres, tiraient des coups de fusil en l’air. Certains s’en sont pris aux médias. Je me suis retrouvé au milieu d’un groupe qui m’encerclait. À un moment, un mec m’a attrapé et m’a dit: “Je dois vous sortir d’ici avant que les choses tournent mal. Où est votre voiture?” Je ne sais pas ce qui se serait passé sans cet homme. Je n’ai jamais su qui c’était. Juste un bon citoyen. Dans la ville en feu lui est dédié.
“Les États-Unis ne regardent pas vers l’extérieur. Il y a de l’arrogance là-dedans”
Vous y êtes quand même retourné la nuit suivante? La deuxième nuit, j’étais sur Hollywood Boulevard. Là-bas, il y a un endroit connu, Frederick’s of Hollywood: un magasin de sous-vêtements féminins. Toutes les vitrines étaient cassées. À l’intérieur, rien. Plus le moindre sous-vêtement. Que des cintres vides. Tous ceux qui se sentaient piégés se rebellaient. Et leur manière de le faire était de voler quelque chose. C’était le vol pour le vol, ça n’avait parfois aucun sens: les gens prenaient tout, des machines de sport stupides comme des rameurs… Il y avait de la fumée et des feux partout.
Le grand sujet de vos romans est de savoir comment les flics sont atteints par leur boulot. Vous-même, votre travail a fini par vous changer? (Il réfléchit) Les sujets de mes romans n’ont jamais vraiment pénétré en moi. Je ne suis pas un flic, je ne vois pas ça tous les jours. Je suis dans une pièce et j’écris là-dessus. J’ai une grande distance avec ces sujets. Mais je crois que mon travail m’a rendu plus ouvert. Les États-Unis sont un pays très insulaire, très isolé. On ne regarde jamais vers l’extérieur, seulement vers nous, vers l’intérieur. Il y a une certaine arrogance là-dedans. Je ne crois pas être comme ça.
Vous avez un jour dit que si vous pouviez rencontrer votre mentor, Raymond Chandler, votre seule question serait: ‘Comment un écrivain peut-il être heureux?’ Avez-vous trouvé la réponse depuis? Beaucoup de grands écrivains sont malheureux dans leur vie. Ça me préoccupe. Je ne le comprends pas, car je suis heureux. J’ai ma famille, je n’ai pas cette noirceur au fond de moi. Je ne suis pas alcoolique, je peux écrire sans me sacrifier. Mais peut-être que ça signifie que ce que je fais n’est pas vraiment à la hauteur…
Lire: Dans la ville en feu (Calmann-Levy)