
C’est un peu particulier parce que j’ai une cataracte congénitale qui fait que je vois très mal -elle altère les reliefs et ternit les couleurs. Et ce qui me permet de me retrouver dans le monde, ce sont les couleurs vives. Tout est flashy chez moi, pour que je puisse me repérer dans l’espace et me sentir bien. Je suis très attirée par le bleu électrique, qui est très vif, ou même le bleu Klein, qui peut s’en rapprocher. Du coup, il y en a beaucoup dans ma garde-robe, beaucoup autour de moi. J’ai construit Crache le soleil, mon dernier roman, autour des couleurs, en particulier ce bleu électrique et un jaune très poussin. Je me suis rendu compte que les gens portent peu de couleurs, que la ville a tendance à être grise, noire, blanche ; même les voitures sont grises, noires, blanches… Aujourd’hui, les livres, de poche notamment, sont très peu colorés. Toutes les tranches sont blanches. Sur les anciens livres de poche, il y avait une vraie direction artistique de la couleur qui faisait qu’on les reconnaissait très bien. Par exemple, il y a l’orange de Lumière d’août de Faulkner, qui est absolument magnifique. À la base, dans notre culture, on avait peur du noir. Mais aujourd’hui, les gens ont aussi peur de la couleur. On a peur d’être visible, c’est tout. Alors que je pense que la couleur, ça procure de la joie à tout le monde.