
Sourire aux lèvres mais regard rivé au sol, Anders Tegnell fait chaque jour ou presque son entrée dans une salle de presse de l’institut Karolinska de Stockholm, puis, en direct devant la nation suédoise tout entière, annonce sur un ton monocorde le nombre de victimes du Covid-19 et évoque une situation “qui ne change guère”. C’est sur le campus de cette université fondée en 1810 que, chaque année, est attribué le prix Nobel de médecine. L’épidémiologiste en chef de la Suède en est encore loin, mais il s’est imposé en quelques semaines à la une des médias internationaux comme le visage de “l’exception suédoise”. Là où la majorité des pays ont décidé de confiner leur population, la Suède a choisi, elle, de faire bande à part et d’en appeler à la responsabilité individuelle de ses citoyens. Jour après jour, Tegnell intime donc à ses compatriotes de garder leurs distances, de se laver les mains, d’éviter tout contact avec les personnes âgées et de s’isoler dès l’apparition du moindre symptôme. Le télétravail est encouragé, les lycées et universités fermés. Mais pas les écoles primaires ni les bars ou les piscines municipales. Le port du masque n’est pas conseillé au grand public, car “les connaissances scientifiques à ce propos sont très faibles”.
Cette stratégie s’appuie en partie sur des spécificités culturelles et démographiques -la moitié des Suédois habitent seuls et le pays connaît une faible densité de population, avec 22 habitants par kilomètre carré-, mais n’en reste pas moins iconoclaste. Surtout, elle est étrangement populaire. Selon des sondages publiés en mai, 69% des Suédois ont confiance en Anders Tegnell, quand seuls 11% des sondés émettent des doutes. Cela n’a pas l’air de faire sauter l’intéressé au plafond. Sa conférence de presse terminée, il répond pendant plus d’une heure, dehors, aux questions des journalistes chronométrés par un chargé de communication implacable. “Non, répond-il simplement quand on lui demande s’il se sentait prêt à se retrouver ainsi sur le devant de la scène. Non, ce n’est pas normal pour un fonctionnaire d’agence publique en Suède. Cela ne rentre pas vraiment dans notre curriculum.”