Liberté de la presse

Christophe Gleizes, profession reporter

Le journaliste Christophe Gleizes, collaborateur de So Foot et de Society, arrêté lors d’un reportage à Tizi Ouzou en mai 2024, vient d’être condamné à sept ans de prison ferme en Algérie. Une décision injuste qui révolte sa famille, ses amis et ses collègues. Portrait.
  • Par Ronan Boscher et Antoine Mestres
  • 9 min.
  • Portrait
Un homme portant une chemise bleue et un sac à dos pose devant des ruines anciennes entourées d'arbres.

Notre journaliste Christophe Gleizes condamné à 7 ans de prison en Algérie

C’est une scène à laquelle n’importe quel(le) journaliste de la rédaction de So Foot et de Society aurait pu assister entre 2013 et 2024. Christophe qui débarque au bureau à 15h30, chaussures pointues aux pieds, doudoune fatiguée par tout temps – parce qu’il n’y a pas de saison avec lui –, clope au bec, sourire débonnaire, enjoué, avec une proposition audacieuse: “Eh ma quiche ! Tu voudrais pas aller en Écosse avec moi? J’ai une super idée de sujet. Une histoire de chiens qui se suicident depuis un pont à côté de Glasgow, ça a lair fou! Bien évidemment, au printemps 2015, son interlocuteur accepte de le suivre dans cette aventure étonnante qui, comme souvent, démarre par une courte nuit dans son petit appartement du XIIe arrondissement de Paris avant de prendre un vol aux aurores.

J’ai un bon contact, j’ai une tête qui fait que les gens ne se méfient pas de moi. J’arrive souvent à soit les faire rire, soit les mettre en confiance. Et souvent, les gens préfèrent les reporters aux journalistes.

Christophe Gleizes

Ensuite, sur le terrain, dans un anglais impeccable, Christophe n’a pas son pareil pour vagabonder sur la trace du bon personnage à interviewer, de la bonne scène à décrire, ouvrir des portes, faire des rencontres et débloquer des situations qui paraissent compromises grâce à son bagou, sa gentillesse et son empathie. En l’occurrence, au pays de Sean Connery, il s’agissait là de convaincre des femmes, endeuillées par la perte de leur chien, de se livrer alors qu’elles avaient déjà subi les moqueries de journalistes de tabloïds anglais quelques années plus tôt, tout en dénouant une sombre histoire de manoir hanté et de pont touché par la malédiction depuis deux siècles. Le reportage de six pages fut publié dans un numéro de Society à l’été 2015 et retrace ce qui est toujours, à côté du monstre du loch Ness, l’autre grand mystère d’Écosse”.

Les bonnes histoires de “Gleizou”

Christophe a mis un pied dans la rédaction de So Foot pour la première fois alors qu’il venait y effectuer un stage, en juin 2013, lorsque les bureaux prenaient encore place dans un parking souterrain du nord du XVIIIe arrondissement de Paris. À l’époque, il arrive du Celsa, où il a terminé ses études, et vient juste de publier sur son site de reportage, intitulé Ipress, un article sur les toxicomanes de la gare du Nord. Il l’envoie à deux journalistes de la rédaction, qui ont eux-mêmes leur propre site de reportage. Ces derniers le trouvent excellent, se mettent à échanger avec Christophe, sympathisent et se retrouvent avec lui dans une façon commune d’envisager le journalisme, à savoir un mode de vie qui permet avant toute chose de rencontrer le monde et de partir à l’aventure. Les deux journalistes transmettent l’article à la rédaction en chef de So Foot, et Christophe est recruté.

Au début discret, il trouve très vite un endroit dont il a toujours rêvé – “un îlot de liberté qui permet de faire le journalisme que j’aime et qui me ressemble”, explique-t-il. Christophe Gleizes devient alors “Gleizou” et, passionné par le terrain, commence ses grands voyages, à la recherche de bonnes histoires, notamment sur le continent africain, où il a vécu enfant et pour lequel il conserve une fascination intacte. Avec le temps, quelques-uns de ses articles pour So Foot feront date: son enquête sur le trafic d’âge des joueurs africains rêvant de football européen, en 2015 ; son long reportage sur la campagne municipale de Bonaventure Kalou dans son village de Côte d’Ivoire, en 2018 ; les CAN, aussi ; ou encore la quasi-intégralité du numéro 100% Samuel Eto’o”, réalisé au Cameroun à l’été 2022. “Si je dois quelque chose à So Press, c’est de m’avoir permis de voyager en Afrique des dizaines et des dizaines de fois. Et ça, j’en garde des souvenirs vraiment émus, dira-t-il dans Tellement pied, le podcast de So Foot, le 23 mai 2024, soit quelques jours avant son départ pour l’Algérie.

Il le dit lui-même: sa passion du reportage lui vient de loin, de l’enfance, et de Tintin, qui l’a « beaucoup inspiré” quand il était jeune. “J’avais un peu son style à un moment. Et j’ai un petit chien, d’ailleurs, depuis peu”, disait-il encore au printemps 2024. Adolescent, il achète un recueil de prix Albert Londres qui ne quittera jamais son sac à dos Eastpak noir et dont il ne cessera de lire et relire les textes, de jour comme de nuit. Christophe a une intuition: le long reportage, ce genre du journalisme, est aussi celui qui colle le mieux à ses qualités humaines. “J’ai un bon contact, j’ai une tête qui fait que les gens ne se méfient pas de moi. J’arrive souvent à soit les faire rire, soit les mettre en confiance. Et souvent, les gens préfèrent les reporters aux journalistes”, dit-il. Parfois, il se laissait même aller à dire que si les circonstances faisaient qu’il n’arrivait plus à exercer le métier de reporter comme il l’entendait, il arrêterait, tout simplement. Depuis qu’on le connaît, il caresse aussi un rêve quasi impossible: s’approcher de l’île de North Sentinel, située dans l’océan Indien, où vit une tribu isolée que l’homme occidental n’a plus côtoyée depuis 1991.

Christophe n’aime pas tellement la demi-mesure. La preuve: l’écriture, dans un second temps, a lieu exclusivement la nuit, seul, sur le petit bar de sa cuisine, avec une tasse de café, entre deux parties d’échecs, et peut se terminer au petit matin. “En repassant des dizaines de fois sur chaque phrase pour l’améliorer. Sans en avoir le talent, c’est un peu la méthode flaubertienne, aime-t-il déclamer, dans un rire. Car Christophe rit souvent. C’est peut-être, d’ailleurs, ce qui marque le plus chez lui: Christophe est quelqu’un de résolument rieur, libre, jovial, généreux et enjoué, quelles que soient les circonstances et les situations, capable de réciter un poème de Lamartine au milieu du bureau ou de cuisiner un poisson entier en reportage à Vienne, à huit heures du rendu de son article. Cette insouciance le suit partout. Y compris durant l’année qui vient de s’écouler, alors en plein contrôle judiciaire, dans les messages WhatsApp qu’il envoie par intermittence à ses amis et ses collègues, pour lui-même dédramatiser le moment et sa solitude, qu’il trompait parfois dans ce restaurant d’Alger où il avait trouvé du camembert rôti” un midi – ça lui avait remonté le moral”.

Foot, échecs et auditoire conquis

Rien n’est banal pour Christophe Gleizes. Encore moins supporter le PSG. À ce sujet, il anime depuis plusieurs années les soirées Ligue des champions organisées par So Foot au Sacré, une boîte de nuit parisienne, pour défendre son club de cœur. Une séquence a même été diffusée dans un épisode de l’émission Quotidien en novembre 2019, à l’occasion d’un PSG-Real Madrid. Il y crève l’écran avec ses lunettes de soleil jaunes low cost et son maillot vintage floqué du logo RTL sur les épaules, face à un auditoire conquis. “Quand on a eu l’idée d’organiser ces soirées, à aucun moment ne s’est posée la question de l’identité du futur animateur. Forcément, la mission était pour Christophe. Il vous embarque facilement. À chaque fin de soirée, je constatais que les gens faisaient la queue pour le saluer, retrace Maxime Marchon, ancien rédacteur en chef et actuel directeur du développement de So Foot.

J’aime quand il y a de la pression autour de mes articles, quand je sais que ça va être dur. Je veux toujours qu’il y ait au moins quelqu’un qui ne veut pas que cet article soit publié.

Christophe Gleizes

Puisque Christophe est un homme obsessionnel, il a une autre passion dévorante: les échecs, discipline dans laquelle il affiche un classement de 1691 Elo FIDE (Fédération internationale des échecs). Il a d’ailleurs réussi à placer un article dans So Foot sur la passion des footballeurs – comme Hatem Ben Arfa ou Marco Bode – pour le roi des jeux. Une discipline qu’il a pratiquée frénétiquement pendant son année d’attente avant son procès, le 29 juin dernier, en Algérie, où il s’était rendu pour réaliser un reportage sur les heures de gloire du club de la JS Kabylie, pour interviewer l’entraîneur du Mouloudia Club d’Alger, Patrice Beaumelle, et pour réaliser un portrait du footballeur Salah Djebaïli. Avant de partir en reportage avec son sac à dos, il avait d’ailleurs coutume de dire qu’il aimait se retrouver face à une montagne. J’aime quand il y a de la pression autour de mes articles, quand je sais que ça va être dur. Je veux toujours qu’il y ait au moins quelqu’un qui ne veut pas que cet article soit publié. Un de ces élans d’enthousiasme et d’optimisme légendaires qui le caractérisent, comme lorsqu’il ponctuait la question “Mais t’es sûr de ton coup?” de cette réponse: “Oui ma quiche, t’inquiète pas. Mes reportages, j’en reviens toujours vivant et avec du matos.

Pour signer la pétition appelant à la libération immédiate de Christophe Gleizes lancée par RSF et So Press.

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