
Elle avait 45 ans, était mère de famille et travaillait comme assistante de direction. Ce matin du 1er décembre 2001, vers 7h, Marie-Agnès Bedot emprunte la passerelle qui relie Neuilly-sur-Seine à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, pour se rendre à la salle de sport. Quelques instants plus tard, elle est retrouvée morte sur les marches d’un escalier, lardée de neuf coups de couteau. Il ne faut même pas quinze jours pour que l’affaire soit résolue. Le 13 décembre, la police cueille un dénommé Marc Machin au domicile de son père. Pas au hasard: Machin a été identifié par une infirmière qui passait vers 7h30 sur le pont ce 1er décembre, quand un homme de “25-30 ans” l’a abordée d’un: “Excusez-moi madame, est-ce que je peux vous sucer la chatte?” Soit les mêmes propos que Marc Machin avait tenus en mars 2000 à une autre femme, dans la ville voisine de Suresnes. Le suspect avoue le meurtre, et écope de 18 ans de prison. Sa rétractation un an plus tard n’y changera rien. On croit que c’est la fin d’une affaire, mais c’est en réalité le début d’une autre: dans la nuit du 3 au 4 mars 2008, alors que Marc Machin est enfermé depuis un peu plus de six ans, David Sagno, un SDF, s’accuse du crime de Marie-Agnès Bedot et est reconnu coupable par la justice dans la foulée, preuves ADN à l’appui. Marc Machin entre alors dans l’histoire par la petite porte privée des victimes d’erreurs judiciaires. Il est la huitième personne, depuis la Seconde Guerre mondiale, à être innocentée en France après révision de son procès. Et reçoit en guise de réparation 663 320 euros pour préjudices moral et matériel. Un happy end? Pas vraiment. Depuis sa libération en 2008 –l’acquittement n’interviendra qu’en 2012–, Marc Machin a accumulé les séjours en prison, notamment pour des agressions sexuelles. Et vient d’être à nouveau mis en examen le 20 mai dernier. La police le suspecte cette fois d’avoir commis un viol le 24 avril dans le XIe arrondissement de Paris.
Dans le fond, la prison est le lieu où il est pratiquement resté le plus longtemps. C’est son repaire, son seul foyer
Marie, une amie
“On avait envie de croire à la belle histoire. Il était devenu le pauvre garçon victime qui allait repartir de zéro avec un compte en banque garni de milliers d’euros, souffle Marie*, l’une de ses connaissances. Mais c’était complètement naïf de penser qu’un homme avec un bagage aussi lourd puisse s’en sortir.” C’est dans la cité du Clos Saint-Lazare, à Stains, en Seine-Saint-Denis, que la famille Machin est installée quand Marc naît, le 14 mai 1982. Un lieu de “blocs de béton, blocs de carton et de caravanes de gitans” où “les voitures ne brûlaient pas encore” mais qui “foutait déjà les boules”, comme il l’écrira plus tard dans son autobiographie, Seul contre tous. Il est le deuxième d’une fratrie de trois enfants. Les parents, Marc –qui porte le même prénom que le fils– et Martine, imbibent l’appartement d’une ambiance faite de cris, d’alcool et de violence. “Il a eu une enfance épouvantable, explique Me Louis Balling, son avocat. Le père, flic, avait des problèmes d’alcool et souffrait de dépression, et la mère avait, semble-t-il, parfois des accès de violence.” Un soir, lors d’une dispute, Martine, la mère, dégaine l’arme de service de son mari et menace ce dernier avec. Deux coups partent dans le mur. “Une scène que je n’aurais jamais dû voir”, écrira le fils. C’est l’un des rares souvenirs qu’il a gardé de sa mère. Alors qu’il est âgé de 4 ans, ses parents se séparent et, cinq ans plus tard, sa mère meurt “toute maigre et sans cheveux” du sida. “Elle est morte sans que Marc puisse la revoir, continue son avocat. Un jour, alors qu’il avait environ 7 ans, il a essayé d’aller dans sa chambre, mais on l’en a empêché. Le dernier rapport qu’il a eu avec elle, c’est l’expulsion.” Car entre-temps, les trois enfants Machin ont été placés en famille d’accueil, et vite séparés. Marc se retrouve chez des gens qu’il décrira comme “pas très affectueux”, avec qui il a “droit au martinet ou à d’autres humiliations, comme rester à genoux un quart d’heure sur les gravats, mains sur la tête”. Durant la même période, Marc “subi[t] ce [qu’il a] subi”, comme il le dira à son procès en révision: des agressions sexuelles répétées commises par un adolescent également accueilli par la famille. Il lui faudra dix ans pour se confier à une juge des enfants “qui se demandait pourquoi [il] ne marchai[t] pas très droit”.
À 8 ans, Marc Machin ne sait ni lire ni écrire, et est “incapable de se concentrer”. Les services sociaux l’envoient à Marseillan, près du Cap d’Agde, chez ses grands-parents paternels. “Les plus belles années de ma vie”, écrira-t-il dans son livre. Mais pour quatre ans seulement. Sa grand-mère meurt quand il a 12 ans. Retour à la case départ: chez Marc Machin, le père. “Et là, c’est la dégringolade, le père n’a pas les épaules et Marc part dans tous les sens, reprend Me Balling. Il fait tout ce que l’on peut ne pas souhaiter à quelqu’un qui doit se construire.” Soit: multiplier les collèges, les formations, les foyers, les bagarres. À 16 ans, il quitte l’école et commence le parcours classique du délinquant de seconde zone –deal en bas de l’immeuble, fumette, vols de sacs à main et de mobylettes, dégradations en tous genres… Le 13 mars 2000 au soir, il poursuit une femme jusqu’à son hall d’immeuble et la viole. En janvier 2001, il en agresse une autre dans un pub de Montmartre et lui dégrafe son chemisier. Deux agressions sexuelles en un peu plus d’un an. Onze mois plus tard, Marie-Agnès Bedot se fait tuer de neuf coups de couteau. Lors de son procès, Machin “aboie comme un chien qui a la patte bloquée dans une porte” sur tout ce qui parle, et multiplie les déclarations qui semblent l’enfoncer. Et ceci dès le premier jour. “Le juge lui pose la question: ‘Monsieur Machin, quel est votre positionnement sur l’affaire?’ retrace son avocat. Et lui, alors qu’il est tout de même aux assises pour un meurtre, lui rétorque: ‘Monsieur le juge, je suis innocent, et j’aimerais que l’on retrouve le vrai auteur du meurtre pour que je le coupe en deux.’” Quasiment un suicide judiciaire. Il faudra attendre le 7 octobre 2008 pour que Marc Machin soit rendu à la liberté.
À sa sortie de prison l’attend une nouvelle notoriété. Le délinquant sexuel devient “Marc Machin, l’innocent qui a passé sept ans au trou”, comme il le dit. “Tout le monde voulait être gentil avec lui, même son banquier lui a fait un taux que personne n’aura jamais, note son avocat. Tout le monde souhaitait lui rendre service.” Ou presque. Ses relations avec sa famille restent distantes. Trois semaines après avoir été libéré, il est sommé de “quitter le canapé de son père”. “En sortant, je rêvais qu’on se retrouve tous les quatre avec mon père, mon frère et ma sœur comme une famille, une famille unie, écrit-il dans Seul contre tous. Rêve de gamin. En fait, chacun a fait ses choix, tracé sa route et j’ai compris qu’on ne pourrait pas recoller certains morceaux.” Autre problème: Marc Machin n’est pas seulement devenu libre, mais aussi riche. Trop riche, peut-être. À l’image du destin tragique de certains gagnants du Loto, l’ancien prisonnier déraille et vit comme un homme en sursis. Ses 663 320 euros sont dilapidés en prostitution, drogue, hôtels de luxe et autre excès. Comme cette fois où il dépense des “sommes folles” pour des places en loge présidentielle pour un PSG-OM. L’après-midi même, Machin se retrouve pris dans une bagarre. Il finit au commissariat et rate le match. “Et durant sa garde à vue, il pisse dans sa cellule, soupire Balling. Le flic lui balance un rouleau de Sopalin et lui dit de nettoyer. Marc: ‘Moi je nettoie? Moi, Marc Machin? Mais t’essuies ma merde, flic de…’ Le policier: ‘Quoi? Qu’est-ce que t’as dit?’ Les flics entrent et lui cassent la gueule.” Le lendemain, il apparaît dans un survêtement du PSG, mégot dans la main et le visage tuméfié, sous les éclairages des caméras de BFM-TV. Les médias sont aussi là quand, en juin 2009, il est jugé pour trois agressions sexuelles. “J’ai été rattrapé par mes vieux démons. Ma colère et ma frustration ont pris le pas sur ma réflexion”, plaide-t-il devant les magistrats. Il est condamné à trois ans de prison ferme. “Marc considérait que l’on ne devait plus rien lui demander. Il ne voulait plus entendre parler du monde judiciaire dans son ensemble, il disait: ‘Merde, vous m’avez pris sept ans de ma vie, laissez-moi maintenant’, soupire une source proche du dossier. Et le problème, c’est que les juges ont parfois été dans la mansuétude avec lui, sans doute par culpabilité d’appartenir au monde responsable de lui avoir volé toutes ces années. Ils ne voulaient plus lui chercher des problèmes. Mais à force, on a laissé Marc faire n’importe quoi et aller à droite, à gauche sans le faire suivre vraiment, alors qu’il a visiblement un problème sexuel.”
À la fin de son livre, Marc Machin parle des “mille rêves” qu’il compte bien réaliser à sa sortie de prison. Il dénombre “des virées dans le Sud, des voyages en bateau au bout du monde, à Rio, Papeete, Honolulu, à La Réunion…” Mais les rêves, chez Marc Machin, restent des rêves. Depuis quelques semaines, en attendant son procès pour viol et extorsion avec arme, l’ancien détenu dort de nouveau en prison. Un retour à la maison, en somme. C’est en tout cas l’avis de Marie: “Dans le fond, la prison est le lieu où il est pratiquement resté le plus longtemps. C’est là où il s’est construit comme il le pouvait, et je pense qu’il n’a jamais pu se projeter autrement que comme prisonnier. C’est son repaire aujourd’hui, son seul foyer.”