
Elle s’appelle Maria Antonia Cay, mais tout le monde dit “Toñita”. Un dimanche d’hiver, la voici accoudée au comptoir du Caribbean Social Club, à Brooklyn, occupée à se vernir les ongles d’un geste lent et précis. Autour d’elle, une poignée de retraités portoricains regardent un match de base-ball à la télévision. Personne ne parle. Les heures filent dans une torpeur entrecoupée de parties de dominos ou de rasades de vieux rhum caribéen. Cela fait près de 50 ans que Toñita accueille dans ce bar du quartier gentrifié de Williamsburg ses compatriotes de Porto Rico venus tenter comme elle leur chance dans le chaudron new‑yorkais. “Il y avait plusieurs lieux comme le mien dans le quartier auparavant, explique‑t‑elle, l’index posé sur le juke‑box qui trône dans l’établissement. Mais désormais, je suis la seule.” Ses visiteurs sont le plus souvent des habitués désireux de retrouver entre ces murs un bout de leur île natale après des années d’exil. Mais parfois, Toñita a droit à des surprises. Comme ce soir du 5 mai 2022, où l’homme qui s’assied au comptoir n’a que 28 ans, porte un anneau entre les deux narines et se déplace entouré d’une garde rapprochée d’une dizaine de personnes. Il s’appelle Benito Antonio Martinez Ocasio, mais tout le monde dit “Bad Bunny”.