

Elle n’a aucun mal à parler. Elle se livre facilement, maîtrise la répartie, n’hésite pas à donner son avis, avec une éloquence et une élocution notables. De son propre aveu, elle a “une grande gueule”. Pourtant, cette fois-là, Nadia Melliti n’a rien dit. À personne. Elle a gardé le secret pendant des mois. Ses amis, qu’elle rejoignait un jour du côté du quai de l’Hôtel-de-Ville, à Paris, n’ont pas eu le privilège d’apprendre que sur le chemin, après être descendue du métro à l’arrêt Châtelet de la ligne 11, elle a senti quelqu’un lui tapoter l’épaule. Une femme “petite, avec de la prestance, les cheveux au carré, les yeux clairs et un teint pas parisien”, qu’elle a d’abord prise pour une touriste. La directrice de casting Audrey Gini. À l’époque, celle-ci a été chargée par l’actrice et réalisatrice Hafsia Herzi de trouver celle qui incarnera au cinéma son adaptation du roman La Petite Dernière, de Fatima Daas, une autofiction dans laquelle la narratrice ne cesse de répéter “Je m’appelle Fatima. Je m’appelle Fatima Daas. Je suis la mazoziya, la petite dernière. Je m’appelle Fatima Daas”. En observant Nadia passer avec ses longs cheveux bruns et son style androgyne devant la grande boutique Nike du Forum des Halles, Audrey Gini se dit qu’elle a “quelque chose de très magnétique. Elle correspond au rôle physiquement, mais elle a aussi une présence”. Elle l’accoste. L’échange est à la fois classique et lunaire. Audrey livre son pitch habituel, “vous pouvez correspondre à ce que je recherche” ; Nadia n’est pas du tout cinéphile, n’a jamais entendu parler ni d’Hafsia Herzi ni de Fatima Daas, ne sait pas ce qu’est un casting sauvage, pourtant elle dit “Oui, OK”. “Je peux prendre une photo? -Oui. – Je peux prendre vos coordonnées? -OK.” Puis chacune repart de son côté. Nadia Melliti en pensant “C’est quoi ce truc? C’est fou, c’est trop bizarre”, Audrey Gini en étant convaincue qu’elle a trouvé la perle rare.















