Témoignages

Rester vivantes

Ambre, Camille, Elinor, Magali. Elles étaient toutes les quatre invitées au même anniversaire le 13 novembre 2015 à La Belle Équipe, l'un des lieux attaqués ce soir-là. Elles ont toutes les quatre survécu. Sept ans plus tard, alors que le temps de la justice est passé et que les attentats ont disparu de la une des journaux, elles racontent comment elles se sont perdues de vue, retrouvées, reconstruites. Chacune de leur côté, et ensemble.
Deux personnes sont assises dans un café ou un restaurant élégant. L'une porte un manteau à motif léopard et l'autre un vêtement bleu. L'ambiance est chaleureuse avec des lumières douces et des miroirs ornés.
Photos: Julien Lienard

LORSQU’EN JUILLET 2014, il avait racheté un vieux rade de la rue de Charonne pour en faire La Belle Équipe, c’est elle que Grégory Reibenberg avait choisie comme bras droit. Elinor, une ancienne serveuse, s’occuperait désormais de l’administratif, des factures, du concret – tout ce sans quoi l’édifice s’écroule. Pour Elinor, ce n’était qu’une étape de plus. Les études qu’elle poursuivait en parallèle la mèneraient un jour, c’était son but, à travailler dans les relations internationales.

Quand l’automne 2015 était arrivé, elle pensait que le moment de passer à autre chose était peut-être venu. Cela ne changerait rien aux liens qu’elle avait noués: bien sûr qu’Elinor avait prévu d’être à La Belle Équipe, ce 13 novembre, pour fêter les 35 ans d’Hodda, la gérante du lieu. La plupart des invités étaient ses amis, les autres étaient des amis de ses amis. En arrivant, le hasard l’avait fait s’asseoir à côté de Magali, qu’elle n’avait jusqu’ici qu’aperçue ici ou là, et les deux femmes avaient discuté en picorant dans la même assiette. Puis Elinor, fatiguée, avait décidé de rentrer chez elle. En allant récupérer son sac à l’intérieur, elle était passée au niveau de Camille, restée au comptoir parce que son plat venait d’arriver. Ambre, l’une des trois serveuses de la soirée, avait mis la main sur le sac et s’apprêtait à le lui rendre. Il était 21h36. Tout le monde sait ce qui s’est passé ensuite.

Elinor, Magali, Camille et Ambre font partie de celles qui ont survécu. Sept ans plus tard, les quatre femmes, comme les autres survivants de la rue de Charonne ce soir-là, sont devenues pour le pays “les rescapées de La Belle Équipe”. Sept ans durant lesquels elles ont vu les médias du monde entier frapper à leur porte, d’autres survivants devenir des figures publiques, des politiques les étreindre, leur histoire intime devenir l’histoire de France.
Chacune à leur manière, elles se sont longtemps tenues à l’écart. Elinor appelle ça “faire profil bas”. Il est arrivé qu’elles se perdent de vue, qu’elles se retrouvent, et s’éloignent à nouveau mais, loin des journaux et des associations, un lien a toujours existé entre elles. Un message, un coup de fil, un commentaire sur les réseaux, une façon comme une autre d’espérer que l’autre tient bon.
Cette année 2022, tout de même, a été particulière. La fin du procès, le 29 juin dernier, a mis un point final officiel à toutes les questions judiciaires entourant le 13-Novembre. Puis, à la rentrée, sont venus Novembre, Revoir Paris et Vous n’aurez pas ma haine, trois films “inspirés” par les attaques, comme si le temps de la justice clos, celui de la fiction pouvait désormais démarrer.

Elinor, Magali, Camille et Ambre n’étaient pas encore prêtes à voir une partie de leur vie à l’écran. Aucune d’elle n’est allée les voir au cinéma. Elles n’ont pas eu besoin de ça pour se rendre compte qu’une page était peut-être en train de se tourner dans le rapport du pays avec les attaques terroristes les plus meurtrières perpétrées sur son sol. C’est en partie pour cela qu’elles ont accepté de raconter ce qui les a menées jusque dans cette histoire, et ce qu’elles ont traversé depuis.

Society #195

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