
Tout le monde avait toujours trouvé Jénia un peu spéciale. C’est comme ça que commence Saison toxique pour les fœtus, de Vera Bogdanova. Et il n’est pas bien difficile de comprendre que la fille un peu spéciale, c’est aussi elle, Vera, cette millennial russe de 38 ans qui voit son deuxième roman, un best-seller depuis plus de trois ans en Russie, être traduit pour la première fois en cette rentrée littéraire 2024. “Depuis l’enfance, les filles russes doivent être obéissantes. On attend d’elles qu’elles soient de bonnes filles, de bonnes étudiantes, puis de bonnes épouses et de bonnes mères. Elles doivent faire en sorte que tout le monde soit heureux, sauf elles-mêmes. Et quand une fille ne fait pas tout pour convenir à tous, elle est considérée comme ‘un peu spéciale’”, raconte l’autrice derrière son écran à Moscou. Dans Saison toxique pour les fœtus, Jénia est d’abord une petite fille rêveuse à l’été 1995, puis cette adolescente “spéciale” à l’été 2000, avant de devenir une adulte perdue à l’été 2004, et peut-être enfin une femme quand pointe l’hiver 2013. Tout commence dans une datcha familiale de la campagne moscovite, où elle fréquente ses cousins Ilia et Daria. Le récit traversera ensuite les années 1990 puis 2000, terribles décennies assombries par la crise économique, le chômage et les attentats terroristes. L’histoire d’une génération dont les écrivains russes de moins de 40 ans s’emparent désormais, désireux de raconter leurs traumatismes, façonnés par ceux de leurs parents et grands-parents avant eux.