
Vous débarrassez une vieille maison de vacances, votre chambre d’adolescence, ou bien vous fouillez un grenier poussiéreux comme un(e) chercheur(e) d’or, en quête de richesse ou plus certainement du frisson de sa possibilité. Vous tombez sur un vieux portefeuille en cuir, craquelé, usé, ou au contraire flambant neuf, peu importe. Vous l’ouvrez. De fortes chances existent pour qu’à l’intérieur, se trouve une carte d’identité en carton, un spécimen. Elle portera systématiquement le même nom: Corinne Berthier. D’elle, on sait seulement ce qui figure sur la carte: elle est née le 6 décembre 1965, à Paris, et elle mesure 1,70 mètre. Sa photo est en noir et blanc, mais on pourrait parier qu’elle est blonde, ou châtain clair, et que les boucles d’oreilles qu’elle porte sont dorées. Sa coupe, bouclée sur les côtés et avec une frange, transpire les années 1980. Son regard se dirige légèrement vers sa gauche, malicieux. On distingue également sur son torse un collier au pendentif triangulaire. Rien de plus.
Rien de plus, ou alors un millier de questions. Qui est cette femme? “Corinne Berthier” est-elle vraiment Corinne Berthier? A-t-elle seulement jamais existé? Si non, qui l’a inventée, qui a choisi ce nom et pourquoi? Si oui, comment la retrouver? Vous croyiez faire du rangement, et voici qu’un thriller administratif s’ouvre à vous. Le début de l’histoire ne fait pas de mystère. La carte spécimen “Corinne Berthier” est apparue lors de la création d’une nouvelle pièce d’identité en 1988, d’abord à titre expérimental dans les Hauts-de-Seine, avant d’être généralisée à la France entière en 1995. Sa photo a été placardée dans toutes les mairies, les préfectures, les ministères et même à l’école, dans les livres d’éducation civique. On y voit les yeux clairs de Corinne et ce sourire énigmatique lui donnant des airs de Joconde administrative. Elle devient alors un visage de la République, sorte de Marianne de sous-préfecture sans écharpe tricolore ni bonnet phrygien, mais avec un collier.