
Au printemps 1985, un bruit court au sein de l’industrie du disque: une nouvelle musique serait en train de prendre de l’ampleur à Washington DC, et elle pourrait bientôt déferler sur le reste de l’Amérique avant de conquérir le monde entier. Tout est déjà là, neuf, singulier, excitant. Le nom qui sonne bien, “go-go”, une paire de syllabes désignant les clubs de la capitale où ce rythme tourne lors des fêtes de la communauté afro-américaine, mais aussi les beats lancinants gorgés de congas, les jeux de questions-réponses avec le public et les pas de danse faciles à retenir que sont le “Whop” ou le “Jerry Lewis”. Comment ne pas en être? La soul et la new wave s’éteignant lentement, les cadors du music business sont bien décidés à ne rien rater de ce nouveau courant. Ahmet Ertegun, légendaire mogul d’Atlantic Records, l’homme qui a donné sa chance à Led Zeppelin ou Ray Charles, sillonne les studios locaux à la recherche de la perle rare. Le boss du label Island Records, Chris Blackwell, traîne lui aussi dans les rues de Washington et croit revivre l’aventure qu’il a connue une dizaine d’années plus tôt lorsqu’il avait découvert le jeune Bob Marley en Jamaïque. La presse emboîte le pas et Billboard tonne que “la musique go-go est prête à devenir mondiale”. Dans le magazine, le critique Nelson George explique que “les majors ont loupé le premier grand phénomène street noir des années 1880, le hip-hop, et ils ne veulent pas refaire la même erreur”. Le parallèle est tout tracé: le go-go et le hip-hop sont deux genres cousins, nés dans les années 1970 à seulement quelques centaines de kilomètres l’un de l’autre, dans des quartiers noirs de l’Amérique urbaine. Tous deux tirent leur source du funk et des musiques afro-américaines qui les ont précédés. L’un comme l’autre sont apparus afin de faire danser les foules. Presque 40 ans plus tard, l’un s’écoute dans toutes les langues imaginables, au cœur des strip clubs d’Atlanta comme dans les campings du Sud de la France. L’autre reste cantonné aux frontières de l’agglomération de Washington. La frénésie du printemps 1985 paraît si loin, comme un rêve évanoui. Que s’est-il donc passé?