
Le téléphone sonne souvent au milieu de la nuit. Lorsque cela arrive, il faut quelques secondes aux deux sœurs pour se rappeler où elles sont. Ce n’est pas leur maison, ce n’est pas leur pays, les voix qu’elles entendent par-delà les murs ne s’expriment pas dans leur langue.
Dans la petite chambre, l’iPhone illumine le plafond blanc de notifications colorées. Alors, une main se tend dans la pénombre, tâtonne. Peine perdue: trop souvent, s’affichent sur l’écran des menaces ou des mensonges, destinés à les ramener chez elles. Mais qu’appeler “chez elles”, désormais? Le 1er avril dernier, après une vie entière de brimades et de soumission aux hommes de leur famille, Wafa, 25 ans, et Maha, 28 ans, ont quitté l’Arabie saoudite pour toujours. Leur fuite les a d’abord amenées en Géorgie, où les citoyens saoudiens peuvent vivre un an sans visa. C’est là, en transit dans un présent suspendu, cachées et protégées par des gardes qui ne parlent que géorgien, que les deux sœurs ont donné rendez-vous en cet après-midi d’avril. Elles reçoivent comme elles peuvent, dans une pièce encombrée de quelques chaises aux coussins dégarnis et d’une télé ayant connu l’URSS. Les mots se ruent et parfois se cognent. Sans se regarder, à la façon intime qu’ont les gens qui ont grandi ensemble de communiquer, elles se murmurent des phrases à moitié prononcées qu’un regard échangé suffit à terminer. Concertation silencieuse. Wafa prend la parole.