Récit

Les naufragés du Bourbon Rhode

Fin septembre 2019, un remorqueur de la société française Bourbon se trouvait au milieu de l'océan Atlantique avec quatorze marins à bord quand l'un des plus puissants ouragans du siècle se déclencha. Voici l'incroyable histoire de ce qui a suivi.
L'image montre des personnages nageant dans une mer agitée sous une pluie battante, avec un bateau à l'arrière-plan.
Illustrations: Simon Bailly
Un avion volant dans le ciel avec des nuages en arrière-plan.

1. “Que Dieu vous accorde d’atteindre le Guyana”

LENA ET DMYTRO AVAIENT SAUTÉ SUR LES BILLETS. Cela faisait longtemps que le couple était dingue d’Imagine Dragons. Alors quand ils avaient appris que la tournée du groupe de rock américain s’arrêtait pour une date au stade olympique de Kyiv, ils n’avaient pas hésité. Ce n’étaient pas les 500 kilomètres qui séparent Odessa, où ils vivaient, de la capitale ukrainienne qui allaient les décourager. Hélas, à quelques jours du grand concert, Dmytro Marchenko reçoit une proposition de contrat. Quatre mois sur un remorqueur de la société française Bourbon, dont le siège est à Marseille. La mission: convoyer le bateau des îles Canaries jusqu’à Georgetown, au Guyana, où Bourbon vient de signer un contrat d’assistance offshore pour les plateformes des énormes gisements pétroliers découverts récemment au large des côtes du pays d’Amérique du Sud. Soit une traversée de l’Atlantique d’est en ouest. Difficile de refuser. Tant pis pour le concert en amoureux. Pendant que Lena se fait rembourser les billets, Dmytro jette trois fois rien – quelques t-shirts, une paire de baskets – dans un sac, embrasse leur fils, Misha, et saute dans un avion direction Las Palmas.

Cette vie est la routine de Dmytro depuis sa reconversion professionnelle. Partir du jour au lendemain vers les ports où la marine marchande a besoin de bras et de compétences. Ces dernières années, il a bourlingué un peu partout sur la carte mondiale de l’exploitation du pétrole et du gaz. D’abord au Kazakhstan, sur le site d’extraction pétrolière de Kashagan, en mer Caspienne. Puis sur des barges en mer Baltique. À 30 ans, c’est déjà une deuxième vie. Avant cela, Dmytro gérait sa boîte, une entreprise de travaux publics. Les alternances politiques ukrainiennes et les réseaux de corruption qui les accompagnent ont signé la fin des bonnes affaires. Au début des années 2010, un chantier public de rénovation de conduits souterrains ne lui a pas été réglé. L’équivalent de plusieurs centaines de milliers d’euros. Les autorités locales, fraîchement élues, lui ont fait comprendre qu’il n’était pas dans les petits papiers des amis du nouveau président prorusse, Viktor Ianoukovitch, et qu’ils ne paieraient pas. Alors, Dmytro a mis la clé sous la porte et est retourné à l’école. Il sortira diplômé de la faculté de transport maritime du Danube, située à Izmaïl, l’un des principaux ports fluviaux ukrainiens. Reliquats de la situation stratégique de la mer Noire pour l’URSS, les écoles ukrainiennes forment de bons marins et les meilleurs mécaniciens maritimes du monde. Sur les mers, les Ukrainiens sont partout. Ils sont considérés comme des types compétents et travailleurs. Ils ne se plaignent jamais et n’ont peur de rien. Ils occupent souvent les postes à responsabilités, de chef mécanicien à capitaine. C’est d’ailleurs le rêve de Dmytro Marchenko: devenir un jour capitaine. Pour l’instant, il n’est que simple matelot.

Society #238

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