
Avec ses hauts murs de béton brut, ses luminaires pâles, sa playlist UK garage et sa déco minimaliste, la boutique de vintage et seconde main Gems pourrait se fondre dans n’importe quel quartier post-industriel en vogue à Berlin. Sauf qu’elle est située dans le centre de Chemnitz, à 260 kilomètres et trois heures de train de la capitale allemande, et que le bâtiment dans lequel elle est installée depuis son ouverture en 2020 fait la jonction entre l’architecture début XXe du quartier de la mairie et les grands ensembles construits durant les années RDA, par-dessus les gravats consécutifs aux bombardements alliés qui ont détruit 80 % de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à la réunification allemande, Chemnitz s’appelait Karl-Marx-Stadt, comme en témoigne encore la gigantesque tête de 40 tonnes à l’effigie du philosophe posée sur la Brückenstraße, entre la gare et le centre-ville. C’est à cette époque, celle du rideau de fer, que la famille de Bach Tran a quitté le Vietnam pour rejoindre la RDA, dans le cadre d’un programme d’échange entre “pays frères”. Aujourd’hui âgé d’une petite trentaine d’années, le jeune homme, qui a étudié l’économie à l’université de technologie de Chemnitz, se vante d’avoir révolutionné le marché du vintage de sa ville natale en étant “le premier à proposer des fringues de marque sélectionnées et pas des lots achetés en gros”. Paradoxalement, c’est pourtant ce mindset d’entrepreneur qui le retient prisonnier ici. “La plupart de mes potes d’enfance se sont barrés après le bac, comme tous les jeunes éduqués d’ici, ou du moins ouverts d’esprit, explique-t-il derrière sa caisse, emmitouflé dans une doudoune beigeâtre. Ils sont à Berlin, Leipzig ou même Dresde, et ce serait aussi mon cas si je n’avais pas la boutique.”