
En 2024, la langue française ne dispose pas encore de terme pour qualifier la sensation précise ressentie face à quelque chose que l’on juge étrange sans comprendre pourquoi. Mais si tel mot venait un jour à exister, il trouverait peut-être sa racine à Poundbury. En arrivant de la gare de Dorchester South, dans le Dorset, la ville s’annonce aux automobilistes par une bâtisse d’architecture géorgienne blanc-beige, avant de s’ouvrir sur une avenue bordée de tilleuls plantés le long d’une série de maisons aux portes bleu marine et vertes encadrées de frontons triangulaires. Plus loin, un bâtiment d’ordre corinthien jaune vif et la tour du Royal Pavillon, combinaison de style grec et d’arcades romaines. Les inspirations architecturales sont anciennes, mais tout a l’air neuf. Ce paradoxe esthétique confère à Poundbury une aura irréelle, comme s’il s’agissait d’un décor bâti pour tourner une suite réalisée par Tim Burton du Truman Show, le film dans lequel Jim Carrey habite, sans le savoir, un colossal plateau de tournage dont les murs sonnent creux. Tout ici paraît propre, poli, inoffensif. Immaculé. Munie d’un supermarché Waitrose et d’un caviste, la place centrale, baptisée Queen Mother Square, exemplifie un des principes fondateurs de Poundbury: ce que les architectes appellent des “équipements mixtes”. “Cela veut dire que nous créons un lieu qui n’est pas seulement un grand centre commercial ou une série de logements, explique Jason Bowerman, responsable du développement de la ville. Son Altesse Royale voulait démontrer que l’on peut, à notre époque, créer un lieu où les gens ont envie de vivre, en reproduisant la façon dont un quartier se serait naturellement établi aux siècles précédents.”